Categories
Actualité

Et Un, Et Deux Et Trois Rapports

TMN se penche sur les propositions des groupes de travail réunis pour préparer la loi de programmation de la recherche (LPPR). Les rapports ont été dévoilés lundi 23 septembre en grande pompe à l’Institut de physique du globe en présence du premier ministre Edouard Philippe, qui a déclaré vouloir redonner « du temps des moyens et de la visibilité à la recherche ». Dans un effort de transparence bienvenu, les trois rapports ont été mis en ligne, contrairement à ce qui se chuchotait. Il va sans dire qu’il ne s’agit que de recommandations. La profession propose, le gouvernement dispose.


Chapitre 1 : Le financement de la recherche

Le constat est connu et partagé par les auteurs du premier rapport : la recherche a besoin d’argent, pour recoller à la concurrence internationale et arriver à hauteur de 1% du PIB en termes d’investissement. Voici les propositions les plus saillantes:
Souriez, vous êtes évalués. C’était attendu (voir article « Des ballons-sondes dans l’ESR »), le rapport insiste sur l’évaluation. Il faudrait donc réformer le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres), et renforcer ses moyens. Ensuite, avoir « recours à une cotation des unités (…) pourrait faciliter la prise en compte des évaluations » mais les pincettes sont de rigueur : ces cotations ne doivent pas remplacer « les conclusions finales » et ne doivent être vues que comme un « outil d’aide à la décision ».
L’ANR, un ami qui vous veut du bien. Le rôle de l’Agence nationale de la recherche (ANR), déjà important, serait étendu. Cette proposition est assortie d’autres, comme celle de porter le financement moyen à 500 k€  au lieu de 352 k€ actuellement. Le taux de réussite aux appels à projets devrait être boosté pour atteindre 25% minimum (40% maximum). Il faudrait allonger leur durée à quatre ans au moins ou privilégier les contrôles a posteriori, etc.  Si vous vouliez sortir du “tout appel à projet”, la LPPR n’en prend pas le chemin.
La tactique du matelas bruxellois. Investir 80 à 200 millions d’euros pour en récupérer 240 par an auprès de l’Union européenne, c’est la stratégie proposée par les auteurs, qui constate le retard de la France. Il faudra pour cela des primes ou des accélérations de carrières pour ceux qui s’engageraient dans des projets européens ou abonder aux financements bruxellois quand ils tombent.
Un point sur l’immobilier. Sans qu’elle fasse l’objet d’une recommandation ad hoc (et donc certainement classée sans suite dans la LPPR), la question des locaux est abordée. Avec 50% du parc immobilier en classe D et inférieures, le besoin d’investissement s’élève lui seul à 7 milliards d’euros, selon les auteurs. Mais que fait la copro ?Les auteurs estiment au total que leurs demandes représentent entre 2 et 3,6 milliards d’euros. Mais certaines mesures non chiffrées ont pourtant leur importance, comme « favoriser l’implication des chercheurs comme experts en appui aux politiques publiques » ou « la médiation scientifique ». Se paiera-t-on de mots dans la LPPR sur ces sujets ?
Chapitre 2 : Attractivité des emplois

Pas non plus de surprises dans les constats du document : les salaires sont faibles, plus faibles qu’ailleurs en Europe ou même que dans le reste de la fonction publique française. Le recours à des contrats précaires est trop répandu et les conditions à l’emploi « défavorables dans le contexte international ». Que faire ?
Des primes, rien que des primes. Grâce à 2,41 milliards d’euros par an, le groupe de travail veut jouer la carte des primes et indemnités. Il souhaite que soit (ré)envisagée (la proposition n’est pas nouvelle) la fusion entre les statuts de chercheur et d’enseignant-chercheur. Les auteurs proposent également de rétablir l’évaluation périodique des enseignants-chercheurs tous les 4 ans et prendre en compte dans ces évaluations les activités autres que la recherche.
Le CDD de chantier en chantier. Un budget de 100 millions d’euros par an est demandé pour développer les emplois contractuels. Malgré la simplification souhaitée, les rapporteurs préconisent la cohabitation de trois types de contrats en créant un « contrat à durée indéterminée de mission scientifique », qui prendrait fin en même temps que les projets de recherche (6 ans maximum), une idée qui fait son chemin depuis un certain temps (voir « Un CDD de chantier dans la recherche ? »). Citons aussi le développement de chaires d’excellence junior de type « tenure-track » (150 chaires par an).
Des doctorats sur mesure. Enfin, le groupe de travail souhaite adapter la durée du doctorat aux différents domaines de recherche alors qu’il est actuellement fixé à 3 ans pour tous. Une augmentation des bourses de 30% pour arriver à 1,5 fois le SMIC est préconisée.
Chapitre 3 : Recherche partenariale et innovation

Ce document ne comporte pas ou peu de propositions chiffrées mais une liste de préconisations pour pallier les lacunes françaises et instaurer une culture de l’innovation. Les auteurs veulent notamment créer 500 start-ups deep tech par an dans cinq ans, doubler le nombre de chaires industrielles à l’ANR ou celui des Labcom public-privé. Enfin les jeunes chercheurs font l’objet d’une attention toute particulière des auteurs du rapport :
Innovez, je le veux. Il s’agit de doubler le nombre de thèse Cifre mais aussi de rendre « obligatoire la participation de tous les doctorants à des formations abordant les spécificités de la recherche privée », voire des stages ou des collaborations. 
Du côté des écoles doctorales. Le rapport préconise de les récompenser en fonction du taux d’insertion dans le secteur privé, avec au besoin une prime de 5000 euros par doctorant… mais aussi les astreindre à des études sur l’insertion professionnelle de leurs doctorants, dont les résultats seraient publiés.
– Du neuf dans les jurys. « Former à l’innovation les jurys amenés à se prononcer sur les carrières des chercheurs » semble indispensable aux auteurs du rapport, ainsi que « nommer systématiquement des industriels et des chercheurs investis dans des activités de recherche partenariale et d’innovation dans les comités d’évaluation des chercheurs ». 
Des employés comme les autres. Voilà une proposition aurait eu sa place dans le chapitre 2 : « reconnaître spécifiquement le post-doctorat dans le droit du travail et le restreindre à un maximum de six ans ». Il faudrait également assortir ce statut « d’obligations de l’employeur en termes de formation ».

On terminera cette énumération incomplète par cette proposition un peu iconoclaste consistant à instaurer un « quota de 20 % de personnes formées par la recherche soit imposé pour le recrutement des futurs hauts fonctionnaires ». Chiche.
Categories
Interview

Julien Gossa : « C’est une collection de vieilles mesures »

Enseignant-chercheur en informatique à l’université de Strasbourg, Julien Gossa décrypte sur son blog Docs en stock l’actu de l’ESR.
Il a lu, lui aussi, les rapports des groupes de travail pour la LPPR et nous livre son analyse.

Qu’est-ce qui vous a le plus interpellé dans les mesures proposées ?

Premièrement, l’absence d’ambition. Dans les documents des années 60 définissant la structure de l’ESR, on sentait de grands principes. Ici, c’est plutôt une collection de vieilles mesures, même si j’en partage tout à fait les constats. Deuxièmement, le déni de la consultation organisée par les sociétés savantes, qui a obtenu 9 000 réponses. Et là, les neuf personnes des groupes de travail n’en parlent même pas. Soit ils en ont conscience et on a un problème démocratique, soit ils ne partagent pas l’avis de la communauté et ils doivent l’assumer et justifier leurs positions.

Vous avez parlé de « Battle royale », une lutte au dernier debout, à venir entre les régions, n’est-ce pas un peu exagéré ?


Cette « Battle royale » va se généraliser entre les régions si, comme il est préconisé, il leur est possible de s’endetter pour financer les universités. Cela peut paraître caricatural, mais ce n’est pas une exagération. La concurrence est déjà présente à tous les autres échelons de l’université et entre universités, par exemple avec les Idex [Initiative d’excellence, NDLR]. Les décisions de répartition des financements descendent les échelons, puis on classe les projets, on interclasse à chaque niveau en remontant. Le but étant de faire émerger quelques projets de recherche. 

Vous parliez récemment de « mauvais traitement réservé aux plus jeunes ». Des revalorisations salariales sont-elles suffisantes ?

Non. Pour revaloriser les salaires, pas besoin de dix pages de rapport : il faut dégeler le point d’indice. Mais on comprend que l’enjeu est de beaucoup mieux payer quelques-uns. C’est comme si on jouait de l’argent au casino ou en bourse, c’est de la spéculation. Les jeunes ont besoin de sécurité et pas de meilleur salaire. La pression pousse les jeunes à publier à tout prix. La propagation de résultats faux est un gros risque à l’heure où tout le monde a accès à n’importe quelle information tout de suite, on devrait au contraire se concentrer sur moins de publications mais de qualité.
Categories
Interview

Philippe Berta : « Les scientifiques ne sont pas fous, j’ai du mal à le faire comprendre »

Les discussions en cours autour de la loi de bioéthique en disent long sur le rapport des Français à la science selon Philippe Berta, un des rares chercheurs député à l’Assemblée nationale.

Le projet de loi contient des mesures pour faciliter la recherche, notamment sur les cellules embryonnaires, mais va-t-il assez loin ?

Malgré ses avancées, je pense effectivement que cette loi ne prépare pas suffisamment l’avenir. Il n’est pas insensé d’imaginer que dans les 5 ans chacun puisse séquencer son génome en 2 heures chrono pour 50 euros. Il vaut mieux anticiper et il est de prime importance que cela soit fait “à la française” avec des banques de données comme le “health data hub”. Il nous faut accompagner les patients lors la révélation de certains résultats et, de manière plus pragmatique, conserver la maîtrise de ces données, que les grands groupes américains ne se gênent pas aujourd’hui pour revendre à “big pharma”.

On dit souvent que la recherche est le temps long mais pas en génétique apparemment…

Sept ans entre deux lois de bioéthique, c’est effectivement long. Alors que de surcroît, on pourrait aller plus loin dans le diagnostic si la loi le permettait avec des outils déjà disponibles à l’heure actuelle, par exemple pour les porteurs sains de maladies comme la drépanocytose ou la mucoviscidose. En plus, la microfluidique est sur le point de tout révolutionner. 

Quels sont les freins ?

J’entend beaucoup le mot d’eugénisme : il est utilisé à tort et à travers. Il suppose la volonté d’un tri massif à l’échelle d’une population, avec l’exemple de la Seconde Guerre mondiale en tête. Nous voulons simplement donner des solutions diagnostiques quand il n’y a pas de solutions thérapeutiques. Je note d’ailleurs que ceux qui crient à l’eugénisme sont généralement anti-IVG, alors que leurs opinions mènent justement à des avortements spontanés ou médicalisés. J’ai encore du mal à faire comprendre que les scientifiques ne sont pas des fous ou des apprentis sorciers. 

Les Français ont-ils un problème avec la science ?


Notre pays est remarquablement “aculturé” dans ce domaine et il en va de même pour nos représentants nationaux. Il faut dire qu’en dehors de Paris et d’institutions comme la Cité des sciences ou le Palais de la découverte, vous pouvez sortir les rames pour faire de la vulgarisation. J’en sais quelque chose avec la création de l’Ecole de l’ADN. Cette absence de culture fait qu’on agite des peurs, voire des mensonges. Il a par exemple fallu que je fasse un cours à l’Assemblée sur la différence entre transgenre et intersexe, que tous les députés n’ont pas écouté d’ailleurs, pour éviter les amalgames et la récupération politique.

Categories
Actualité

Des ballons-sondes dans l’ESR

Le « sans tabou » est un élément de langage récurrent dans la bouche des politiques au moment d’annoncer une mesure qui fâche. La ministre de la Recherche Frédérique Vidal ne s’en est pas privé lors de son discours le 18 septembre au colloque du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres). En pleines discussions autour de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), elle a ainsi réitéré vouloir « remettre la recherche au coeur de la société » au prix de rouvrir des débats « sans tabous (…) y compris les plus sensibles, comme ceux sur la notation ou la cotation, même si note et cote ne sont pas une fin en soi ». Second ballon-sonde, lancé le même jour : un rapport fuité du ministère des Finances jusque dans Les Echos, présentant des pistes d’économies, dont la suppression de l’avancement à l’ancienneté dans les universités ou des « marges importantes » sur les départs à la retraite ou la régulation du temps de travail des enseignants, notamment. C’est lundi 23 septembre que les groupes de travail remettront au ministère de la Recherche leur rapport sur la LPPR qui resteront confidentiels, à moins de fuites organisées ou non, jusqu’à mi-octobre. 
Categories
Interview

Christophe Perignon : « De la data certifiée conforme »

Le laboratoire public Cascad pose les bases d’un certificat de reproductibilité pour les recherches. Christophe Perignon, son co-fondateur, nous explique pourquoi cela peut tout changer.

D’où vient cette idée de certifier les données de recherche ?


CP. : En sciences économiques et sociales, on passe parfois quatre ou cinq ans sur un papier et, une fois publié, il ne s’agit finalement que d’un pdf. Si les chercheurs sont sérieux dans la production de la connaissance, l’évaluation des papiers ne l’est pas autant car elle est basée sur le fait que ce pdf reflète exactement les résultats expérimentaux. Notre approche permet de remplacer cette méthode par un tiers de confiance qui “refait tourner le code” indépendamment, en particulier pour les données sensibles ou confidentielles.

S’agit-il de mettre en place une “Police des polices” pour la data en quelque sorte ?

CP. : Notre approche n’a jamais été de dire que les chercheurs sont des menteurs ou des arnaqueurs mais d’aider ceux qui en ont envie. L’outil, tel que nous l’avons développé depuis plusieurs années, peut être utilisé par tous ceux qui utilisent des bases de données et des statistiques. Par ailleurs, Cascad propose de faire de la reproductibilité, la réplication est un autre processus, même si les deux sont liés.

Et si les données sont confidentielles, notamment dans le secteur médical ?

CP. : Dans ce cas, le chercheur ne peut évidemment pas les partager avec nous. Le CASD [centre d’accès sécurisé aux données, NDLR] propose par exemple près de 280 bases de données à accès restreint et un grand nombre d’articles sont écrits grâce à ces données formidables… mais cela pose un problème de reproductibilité. Nous avons mis en place une collaboration avec cette structure pour disposer de la même machine virtuelle que le chercheur : toute sa démarche scientifique peut être reproduite. Nous délivrons ensuite un certificat en pdf et un “token” qui peut être transféré aux partenaires.

Categories
Actualité

L’Europe a-t-elle oublié la recherche ?

Imaginez un gouvernement français sans ministre de la Recherche mais avec une ministre de la Jeunesse et des Sports qui s’occuperait aussi de science. Etrange, oui c’est pourtant le cas à la Commission européenne depuis la nomination – qui doit encore être entérinée le 1er novembre – de la Bulgare Mariya Gabriel au poste de commissaire à l’Innovation et à la Jeunesse. Un intitulé valise qui a déjà fait couler beaucoup d’encre. Fort heureusement, sa lettre de mission est beaucoup plus claire, puisqu’il est notamment question du programme Horizon Europe. Son prédécesseur à ce poste, Carlos Moedas, lui a cédé sa place en regrettant que son poste de commissaire à la Recherche n’intéressait en réalité « personne »
Categories
Et pour finir

Spatial street art

A partir du 25 septembre l’artiste urbain français C215 (Christian Guémy de son vrai nom) investit la ville du Bourget avec des portraits au pochoir retraçant la grande aventure aérienne et spatiale : les frères Montgolfier, Antoine de Saint-Exupéry ou encore Neil Armstrong.
Ce n’est pas la première fois que cet artiste sévit au service des sciences. Pour le musée Curie en 2016, il avait déjà réalisé des portraits de célèbres scientifiques (la famille Curie et leurs collaborateurs), ainsi que des œuvres plongeant au cœur des atomes… Certaines peuvent toujours être admirées si vous vous baladez vers la rue d’Ulm à Paris.