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Quentin Glorieux : « J’ai fait le show du scientifique décalé et passionné »



C’est tout nouveau, l’ENA a ouvert un concours spécial pour les docteurs. Les résultats de l’oral sont tombés le 14 novembre. Parmi les trois admis, le seul chercheur est Quentin Glorieux. Il confie à TMN ses motivations et le déroulement du concours.

Qu’est-ce qui pousse un physicien comme vous à vouloir entrer à l’ENA ?


Au départ, cette démarche était une blague. Il y avait 300 candidats pour 3 places, donc je n’y croyais pas du tout. J’aimerais partir de la région parisienne mais avec mon poste de maître de conférences (MC) c’est très compliqué. Personne ne me donnera un poste de MC dans une autre université parce que j’en ai déjà un; pour les postes de professeur c’est encore plus dur : zéro poste (hors promotion) dans ma section l’an dernier, et je suis encore assez jeune. Alors pourquoi ne pas tenter l’ENA ? Avoir un boulot qui ne sert à rien c’est cool, mais avoir un impact et de l’influence c’est aussi très attirant.

Les épreuves du concours étaient-elles difficiles ? 

Non, et c’était assez marrant. L’écrit consistait à rédiger une synthèse sur les réglementations des nitrates dans l’agriculture. La partie scientifique était très simple, principalement des statistiques, mais il fallait aussi donner des recommandations. Je pense qu’ils attendaient des avis politiques tranchés. L’oral d’analyse politique était impressionnant, et les membres du jury étaient de haut niveau. L’épreuve comportait une mise en situation à propos de la nouvelle loi européenne qui vise à supprimer des contenus haineux ou diffamatoires sur Facebook. Il se trouve que j’en avais parlé avec une copine juriste la veille ! Puis ils m’ont posé des questions « random », sur Greta Thunberg par exemple. Je ne connaissais pas les codes, j’ai fait le show du scientifique décalé et passionné.

Donc vous allez arrêter la recherche ? 


Je vais assister à la semaine de remise à niveau pour les trois docteurs, puis je déciderai. La rentrée est le 6 décembre et, durant les deux ans d’études, il y a beaucoup de stages, dont certains à l’international. A la sortie les premiers postes sont pensés pour des jeunes de 26 ans et j’ai peur de me retrouver attaché de quelqu’un, à presque 38 ans. Et surtout, il y a trop d’inertie, trop de codes dans ce milieu. C’est attirant car je ne le connais pas, mais j’ai très peur de ne pas résister face à la malhonnêteté intellectuelle, à la manipulation, à la flatterie. J’ai déjà du mal au conseil d’administration de la fac…

Crédit photo Céline Le Guyader
 

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Doctopus au chevet des doctorants

Doctopus a révélé ce matin les résultats de son enquête réalisée auprès de 1 200 docteurs en France. On espère que vous ne faites pas partie des 52% qui sont en mauvaise santé mentale. Si vous êtes un homme hétérosexuel, vous avez moins de chance de manifester certains symptômes, principalement des troubles anxieux nécessitant un suivi psychologique. Les femmes et les doctorants homosexuels sont les plus touchés, en plus d’un sentiment de discrimination général. Sûrement pour compenser, la consommation de tabac, d’alcool et de cannabis des doctorants est plus élevée qu’en moyenne en France, ainsi que celle de sédatifs hors prescription médicale (7,5%).

Anxieux… mais satisfaits
Dans un climat de compétition et de manque de visibilité professionnelle, demander de l’aide peut être perçu comme un signe de faiblesse. D’après une autre enquête récente réalisée par Nature au niveau mondial, 36% des étudiants ont cherché de l’aide pour soigner une anxiété, voire une dépression causée par le doctorat. Il faut dire que plus de 71% travaillent plus de 41 heures par semaine et 21% sont victimes d’harcèlement ou de discrimination. Malgré ça, on souhaite que vous fassiez partie des 75% satisfaits de leur décision de faire une thèse…
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Plus de fonds mais plus de pression

Le calendrier est maintenant connu.
Lors de la cérémonie des 80 ans du CNRS (en voici la retransmission intégrale), le président Emmanuel Macron a donné le tempo. Le texte de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche devra être présenté au conseil des ministres « entre mi et fin-février ». Dans un exercice de questions/réponses bien rôdé avec un panel de chercheurs triés sur le volet, il a également pris le temps d’exposer sa vision de la LPPR. Au moins trois mesures y seront intégrées sans coup férir :

L’introduction d’un CDD de chantier (ou d’un « CDI de projet », c’est selon) dans la recherche car, selon le président, « il n’y a pas de continuum en France entre la précarité et la titularisation, il faut une sorte de sas ».
La suppression des autorisations de cumuls d’activité a priori : « La loi les fera sauter (…) ça crée de la confiance et ça responsabilise ». Reste à trancher le cas des contrôles a posteriori pour éviter les abus.
– Last but not least, une refonte de l’évaluation des chercheurs. « Vous avez trop d’évaluations qui ne servent à rien (…) il en faut moins mais en tirer les conséquences », a asséné le président. On est là au cœur de l’esprit « darwinien » de la loi. 

La spécialité de Thomas Ebbesen, qui a reçu sa médaille d’or du CNRS des mains du président, est de faire passer des photons par de tous petits trous. A-t-on vu la lumière le 26 novembre dernier ? En un sens oui, comme l’a déclaré Emmanuel Macron, qui s’est engagé à sortir le chéquier : « je crois dans la nécessité d’un investissement dans la recherche publique, car c’est un choix de souveraineté », tout en rappelant la faiblesse des dotations de l’Agence nationale de la recherche. Reste à savoir combien, comment et surtout à qui iront ces financements. 
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Un après-midi avec Emmanuel Macron

Le temps des arbitrages est passé.

Voici venir le temps du service prévente pour la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), annoncée par Edouard Philippe en février dernier et qui devrait arriver au Parlement début 2020. Cette fois c’est Emmanuel Macron lui-même qui monte au front : le Président, accompagné de la ministre de la Recherche Frédérique Vidal a ainsi reçu à l’improviste un aréopage d’une demi-douzaine de chercheurs, aux profils très divers, dont voici la liste, à une réunion de travail à l’Elysée le 18 novembre dernier pour “consultation” sur un texte certainement déjà écrit par les services du gouvernement.

Séquence com’ dans 3… 2… 1…
Le président a noté les doléances de la profession : « Nos demandes portaient sur l’augmentation du budget de la recherche, le maintien des emplois et le poids trop important de l’évaluation ; il n’a pas personnellement fait de propositions mais a noté ce que nous disions », souligne Cornelia Meinert, qui a elle-même foulé la moquette élyséenne le 18 novembre dernier. Selon toutes probabilités, la semaine prochaine, marquée par un symposium à l’occasion des 80 ans du CNRS, sera celle des révélations, avec un discours de Frédérique Vidal prévu en clôture et la présence d’Emmanuel Macron pressentie le soir lors d’un dîner au Palais de la découverte. Il serait en effet temps de passer aux explications car seul un chercheur sur dix déclare (sondage BVA santé pour MSD) « connaître les ambitions du gouvernement » concernant la LPPR. Êtes-vous ce chercheur ? 
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Elisabeth Bik : « Certains aimeraient me faire taire »

Après 15 ans de recherche à Stanford, Elisabeth Bik s’est lancée à temps plein dans la détection de fraudes dans les publications scientifiques. Parmi ses récentes “découvertes” : un professeur chinois reconnu.

Vous décryptez dans des publications en biologie, entre autres, les duplications d’image. Avez-vous un don pour le jeu des sept erreurs ?

C’est plutôt le jeu des sept ressemblances ! Non, je n’ai pas de talent particulier, tout le monde peut le faire. J’utilise des routines, mais aussi beaucoup mes yeux. J’ai de l’expérience et je sais quoi chercher. Ensuite j’écris aux revues, qui doivent suivre les recommandations de la COPE [Committee on Publication Ethics, NDLR] et prendre en compte les commentaires des lecteurs… mais j’ai très peu de réponses. Je publie donc également le résultat de mes investigations sur PubPeer. Parmi les 800 articles que j’ai dénoncés en 2016, seuls 51 ont été retirés. Certains ont été corrigés mais au final deux tiers sont restés tel quel.

Comment sélectionnez-vous les publications que vous passez au crible ? 

Entre 1995 et 2014, j’ai analysé plus de 20 000 articles de 40 journaux différents, dont environ 4% comportaient des erreurs. A partir de ça, j’ai pu repérer des auteurs qui avaient tendance à manipuler leurs données. Je suspectais en particulier plusieurs articles signés par un même chercheur chinois : j’ai finalement trouvé et révélé les fraudes. Au départ, je ne savais pas que le professeur Xuetao Cao était si reconnu en Chine ! Ironiquement, il est le président de la commission pour l’éthique. Cette histoire a pris de l’ampleur et on voit la censure à l’œuvre  sur les réseaux sociaux chinois.

Avez-vous peur ? 

Certains aimeraient me faire taire et j’ai surtout peur qu’on pirate mon compte Twitter, donc j’ai redoublé de sécurité. Les réactions avaient déjà été très fortes il y a un an lorsque des fraudes d’un autre professeur avait été révélées, avec la suspension du compte Weibo [L’équivalent chinois de Twitter, NDLR] de l’internaute relayant ces informations. Dans mon cas, le professeur Cao a reconnu qu’une erreur avait pu lui échapper et l’affaire est numéro deux des sujets chauds sur un autre réseau social chinois [Zhihu, NDLR], ce qui est un signe d’amélioration.

Qu’est-ce qui pousse les chercheurs à frauder ? 


Nous connaissons tous la pression à la publication. Elle se répercute sur les doctorants et les postdocs, qui sont dépendants de leur chef [qui les paye, comme c’est très souvent le cas à l’étranger, NDLR]. Le professeur a donc un immense pouvoir et quand il dit : « Je veux ces données, le graphique doit ressembler à ça », les étudiants et postdocs peuvent être tentés de manipuler les résultats s’ils ne correspondent pas à ce qui est attendu. La responsabilité est donc partagée.

Propos traduits de l’anglais.

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La mission du CNRS, si il l’accepte…

…est, dans la période 2019-2023 de simplifier la vie des chercheurs et des directeurs d’équipe, en particulier en cas de tutelle mixte. Le document de travail (non encore définitif, donc) précise qu’il faut « travailler sur l’idée [on appréciera la taille des pincettes, NDLR] que le CNRS puisse devenir tutelle secondaire de l’unité et non plus tutelle principale quand le nombre d’agents CNRS en leur sein est minime ».
Toujours en matière de simplification, le rapport propose la mise en place d’unités mixtes de support pour simplifier la vie de ceux à la tête des UMR. Voici quelques autres mesures préconisées dans le texte, qui sera voté dans deux semaines environ :

Soutenir l’interdisciplinarité en y consacrant 20% des nouveaux postes de chercheurs ;
Lancer 50 start-ups par an et doubler le nombre de projets en maturation ;
– Un objectif de 100% des publications CNRS en accès libre ;
100 postes d’ingénieurs-transfert pour la maturation technologique au sein des labos ;
Recruter 100 ingénieurs pour aider à monter les projets européens ;
Revaloriser les primes des lauréats ERC et des porteurs de projets collaboratifs ;
Augmenter la proportion de femmes au sein de l’institution ;
Mettre en place un “tenure track” avec les universités volontaires.A noter une première partie passionnante (attention premier degré) sur les recherches à venir dans les cinq ans au sein de l’institut. Savez-vous notamment ce qu’est la « matière noire végétale » ?

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Elsevier veut se payer en données

Rien n’est gratuit
« Personne ne peut contester la beauté de la vision d’avoir les contenus de la recherche gratuitement et immédiatement accessibles ». Ce chantre de l’open access n’est autre que la nouvelle PDG d’Elsevier, Kumsal Bayazit. Certes. Mais en échange du libre accès, le géant anglo-néerlandais veut des compensations. Augmenter les prix des abonnements institutionnels est une possibilité, mais elle a ses limites. Elsevier tente actuellement une autre approche avec les universités néerlandaises : faire main mise sur les métadonnées des projets de recherche (article en néerlandais), en contrepartie de l’accès à toutes les revue du groupe, y compris les plus prestigieuses.

Expérimentations maison
En réalité, les universités néerlandaises utilisent déjà des logiciels de gestion édités par Elsevier (Pure et Scopus). Le risque ? Que des intérêts privés s’immiscent dans la recherche académique et que les instituts perdent leur indépendance. Le partage ne serait néanmoins pas obligatoire mais il y aurait un seuil minimum par université. « Nous déciderons toujours ce que des tiers tels qu’Elsevier peuvent et ne peuvent pas faire avec ces métadonnées », tente de rassurer l’association des universités des Pays-Bas, la VSNU. La communauté scientifique néerlandaise, en pointe dans le bras de fer avec les éditeurs, y sera certainement attentive.