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Interview

Sophien Kamoun : « J’étais censé avoir “reviewé” quatre articles, c’était faux ! »

sophienkamoun
Chercheur en pathologie des plantes au Royaume-Uni, Sophien Kamoun s’est tout récemment fait pirater son identité par une revue prédatrice.

Comment vous êtes-vous rendu compte du piratage de votre identité ?

S.K. : J’ai reçu un email du Research journal of plant pathology, qui a attiré mon attention car il me remerciait d’avoir “reviewé” des articles pour leur compte. Il y avait le mot de passe de “mon” profil en bas du mail, j’ai donc pu y accéder et réaliser que j’étais censé avoir rendu quatre rapports (très mauvais d’ailleurs), alors que je n’ai jamais travaillé pour cette revue.  

Avez-vous contacté les éditeurs de la revue pour avoir des explications ? 

S.K. : J’en doutais au départ mais il s’agit de vraies personnes ! Un chercheur aux Etats-Unis, un autre en Chine, les deux assez reconnus. J’en ai parlé à l’administration de mon institut et nous avons décidé que je ne les contacterai pas personnellement, mais d’agir de manière formelle. Une lettre signée de mon institut est en cours de rédaction à l’attention de la revue ainsi que des deux éditeurs. C’est également mon employeur qui décidera s’il y a lieu d’engager des poursuites judiciaires.

Quel est le meilleur moyen de lutter contre les revues prédatrices ?


S.K. : Par la transparence. Je suis pour un système « publish & filter » et non l’inverse, où le peer-review se fait sur des plateformes dédiées comme PREreview après mise en ligne du preprint. Les maisons d’édition historiques ne sont pas forcément un gage de qualité du peer-review même si les chercheurs se cachent souvent derrière le fait qu’un article est publié dans Nature pour ne pas se poser de questions. Cela peut être très dangereux, comme nous montre le cas de l’article liant vaccination et autisme, qui a finalement été retiré mais 18 ans après sa publication.
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Actualité

Ces prédateurs à vos portes

Nature a récemment publié “sa” définition des revues prédatrices… et causé pas mal de réactions. Certains se réjouissent, d’autres s’interrogent. 

C’est le genre de mails que les chercheurs reçoivent tous les jours, parfois plusieurs fois par jour. Et, si parfois, la ficelle est un peu grosse, les techniques de revues prédatrices s’affinent, allant jusqu’à l’usurpation d’identité. C’est précisément ce qui est arrivé au biologiste Sophien Kamoun (voir interview). Ce phénomène décelé il y a une dizaine d’années perdure aujourd’hui malgré les alertes. Directement concernée par le sujet, la revue Nature s’en est emparé pour proposer sa définition de ce qu’est une revue prédatrice.

Les Experts Ottawa
A l’initiative de l’article, le canadien David Moher, directeur d’un institut de journalologie, et ses collaborateurs ont monté un comité composé 43 personnalités issues de dix nationalités, qui s’est réuni à Ottawa en avril dernier. « Aucune des cinq grandes maisons d’éditions historiques [Reed-Elsevier, Springer, Wiley-Blackwell, Taylor&Francis et Sage, NDLR] n’était présente », nous assure Agnes Grudniewicz, première autrice du texte. Seules de plus modestes maisons d’édition étaient représentées, telles que la Canadian Science Publishing and Hindawi. Le comité a en effet considéré que « les éditeurs [étaient] des acteurs clés que nous ne pouvions pas écarter de la discussion »
La prédation selon Nature

Les 43 experts qui ont planché 12 heures durant sont arrivés à cette définition consensuelle (pour eux) : « Predatory journals and publishers are entities that prioritize self-interest at the expense of scholarship and are characterized by false or misleading information, deviation from best editorial and publication practices, a lack of transparency, and/or the use of aggressive and indiscriminate solicitation practices. »
Mais cette initiative, tout de même soutenue par un géant mondial de l’édition scientifique, s’est également attiré son lot de critiques. Sophien Kamoun avoue par exemple n’être « pas du tout impressionné par cette définition qui n’a rien de nouveau », se référant à la liste de Jeffrey Beall, bibliothécaire américain… liste qui a elle-même ses limites. Selon le chercheur et soutien de l’open access Björn Brembs, « la liste de Beall a pu être arbitraire dans certains cas et cela fausse les statistiques sur le nombre d’articles publiés dans les revues prédatrices ». Il pousse même le bouchon plus loin : à le lire, des éditeurs comme Elsevier ou Springer-Nature pourraient être classés comme prédateurs, selon leur propre définition ! « J’utiliserais plutôt le mot parasite, nuance-t-il, la solution serait d’arrêter de publier dans les revues des maisons d’éditions, qui sont un système vieux et dépassé. Et cela coûterait seulement 10% des sommes qui leur sont actuellement versées. » 

Au-delà de l’aspect financier, l’enjeu est évidemment la qualité de la science produite. Après tout, les revues prédatrices ne facturent que quelques centaines de dollars, alors que publier un article dans Nature Communications en coûte près de 5 000. Pour le comité canadien, la solution c’est “l’open peer-review” : la publication des rapports de reviews et la levée de l’anonymat des reviewers (eux-mêmes ont montré l’exemple). Mais, devant le volume de publications, la vérification systématique de ces reviews semble illusoire. Alors, Björn Brembs et Sophien Kamoun proposent tout simplement de changer le système. L’alternative proposée, le “publish, then filter”, ne date pas d’hier et consiste à mettre en ligne des preprints évalués publiquement par la suite sur des plateformes collaboratives. Mais il n’a pas pour l’instant remis en cause le monopole des géants de l’édition.
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Nouvelle année, nouvelle université

L’Université Gustave Eiffel est née.

Ou plutôt elle va naître officiellement le 1er janvier prochain, comme le précise le Journal officiel du 13 décembre dernier
Cette « université expérimentale » est le résultat de la fusion de nombreux établissements (voici la liste) et dont la présidence est assurée transitoirement par la direction générale de l’Institut français des sciences et technologies des transports.
« Au total, en huit années, dix‐neuf universités et un institut national polytechnique auront fusionné, soit plus de 20 % des universités existantes en 2008 » rappelle, dans son tout récent tome 1 sur les fusions d’université, l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche.
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« Sauvadet & moi », Ep.1 La parenthèse enchantée

Retour aux sources dans ce premier épisode : entre 2013 et 2018, une centaine de CDI ont été signés grâce à la loi Sauvadet. Témoignages.

Que penser de la loi Sauvadet ? Souvent critiquée, et parfois contournée – comme nous le verrons dans un prochain épisode –, ce texte joue pourtant un rôle central dans l’emploi au sein des labos. Parmi la cinquantaine de “CDIsation” au CNRS entre 2012 et 2014, pour une centaine au niveau national (voir notre encadré), au moins six “CDIsations” ont eu lieu à l’Institut des Neurosciences Paris-Saclay. C’est cet endroit que TheMetaNews a choisi pour recueillir les témoignages de chercheurs dont la vie a été changé par la loi Sauvadet. Direction Gif-sur-Yvette.

Témoignage numéro 1

Bernard (son prénom a été changé) fait partie de ces rares personnes qui ont obtenu un CDI presque automatiquement grâce à Sauvadet.
Il faut dire qu’en 2013, il cumule déjà bien plus que les 6 ans requis. Ce chercheur en CDD participe alors activement aux projets visant à demander des financements pour son équipe et, par conséquent, au financement de son poste. Dès l’application de la loi, Bernard fait la démarche de rassembler tous ses contrats et de les mettre dans une enveloppe destinée à la direction régionale du CNRS. Sa “CDIsation”, obtenue rapidement, se fera uniquement par la signature d’un avenant à son CDD transformé de ce fait en contrat à durée indéterminée ; son salaire restera inchangé. « Vu qu’en concertation avec mon chef d’équipe, nous décidions de mon salaire en fonction des financements obtenus, j’étais [donc] parfois payé en-dessous de la grille. Heureusement qu’à ce moment-là, les finances étaient bonnes et que j’avais un salaire correspondant à la grille !, nous confie-t-il. Sauvadet m’a sauvé la vie mais a été une catastrophe pour une infinité d’autres personnes ».
Une centaine de CDI et après ?

Votée en 2012, la loi Sauvadet impose à la fonction publique de “CDIser” leurs salariés en CDD depuis plus de 6 ans. Juste après le passage de la loi, les organismes comme le CNRS, l’INSERM ou les universités ont bloqué la reconduction des contrats de ceux qui avait accumulé 6 ans de CDD ou plus. De nombreux chercheurs, ou ITA précaires ont été de fait écartés. Mais la cour administrative d’appel de Nantes a obligé, en mai dernier, l’INSERM à “CDIser” a posteriori un agent précaire. Peut-on espérer un retour des “CDIsations” ?
Témoignage numéro 2

Le cas de Kei Yamamoto a été plus tourmenté.
Lorsque la loi est publiée le 13 mars 2012, elle est en CDD depuis 6 ans moins 1 jour, au sein de l’Institut des neurosciences. La jeune chercheuse japonaise hésite à changer de laboratoire mais souhaite rester en France. Son collègue lui conseille de rester au sein de son équipe et de demander sa “CDIsation”, avec le soutien du syndicat. Elle décide de tenter sa chance et dépose une première demande, refusée quelques mois plus tard. Le motif : ses fiches de paye n’étaient pas éditées par le même organisme (parfois le CNRS, parfois l’université) et, de surcroît, certaines étaient manquantes.

C’est une décision de justice sur un cas similaire (voir l’encadré « L’employeur unique en question ») qui lui permettra d’avoir gain de cause : son CDI est signée le 1er avril 2014 après avoir cumulé au total treize contrats pendant 8 ans. Une grande satisfaction mais elle sent bien la réticence de certains chercheurs : « En recherche, passer 6 ans au même endroit n’est pas bien vu. Les gens avaient peur qu’en s’accrochant à une équipe, on puisse avoir un CDI, en contournant le concours. » Kei a, de ce fait, du mal à se sentir complètement légitime : « Je n’ai pas été sélectionnée. Je n’aurais pas pu passer par les concours car je n’avais pas le bon CV pour ça. » La chercheuse ressent une grande responsabilité. « Je ne veux pas que cette CDIsation soit une “failure” ».
Aujourd’hui, comme tous les chercheurs, Kei commence à déposer des demandes de financement et compte bien conduire ses propres sujets de recherche.
L’employeur unique en question

Ce point est crucial : comment interpréter la notion de « même employeur » imposé par la loi Sauvadet ? L’article 8 du texte législatif l’énonce ainsi : « même département ministériel, même autorité publique ou même établissement public ». Dans le cas de Kei Yamamoto, elle travaillait pourtant bien au même poste et dépendait du même employeur, le CNRS, comme la loi le prescrit. Avec l’aide d’un groupe de travail, elle continue les démarches et prend alors le risque de se retrouver sans papier.
 Le 12 mars 2013, le tribunal administratif de Nantes reconnaissait l’unicité de poste et d’employeur, malgré la multiplicité des contrats signés par une ingénieure employée par l’INSERM.
Ce cas fera-t-il jurisprudence pour Kei ? Finalement oui : sa deuxième demande aboutit à un CDI.
Syndiqué à la SNTRS-CGT, Pierre Affaticati a aidé Kei Yamamoto : « Toulouse, Montpellier et Gif-sur-Yvette se sont particulièrement mobilisés à l’époque » nous raconte-t-il. La lutte a été rude : « Certains cas ont été arbitrés au ministère car le CNRS ne voulait pas prendre de risque. »  Il accuse la direction du CNRS, comme celles des autres établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST), de n’avoir rien fait pour faciliter les “CDIsations” pour des raisons idéologiques. « Le CNRS a eu une lecture restrictive de la loi, contrairement par exemple à l’Agence nationale de la recherche, qui a pu “CDIser” un grand nombre de personnes », nous dit-il. Cette loi Sauvadet est-elle une bonne chose ? Nos protagonistes sont unanimes : « oui » dans le principe car c’est une loi de protection mais « non » dans la pratique car elle a été complètement dévoyée.
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Interview

Patrick Tort : « La civilisation selon Darwin valorise la coopération »



Patrick Tort est l’auteur de Darwin n’est pas celui qu’on croit (Ed. Le Cavalier Bleu). Il commente pour TMN la tribune d’Antoine Petit appelant à une réforme « darwinienne de la recherche ».

En appelant à une loi « inégalitaire », voire « darwinienne », le président du CNRS se trompe-t-il de Darwin ?


En effet, il ignore La Filiation de l’Homme (1871) où Darwin expose sa théorie de la civilisation : la sélection des instincts sociaux entraîne l’extension indéfinie du « sentiment de sympathie » ainsi que celle de la reconnaissance de l’autre comme semblable. D’où, contre l’ancien primat de la compétition éliminatoire, la valorisation morale de la coopération, de l’altruisme, et de la sympathie étendue à la famille, puis à la tribu, à la nation, à l’humanité, et enfin à « tous les êtres sensibles ». L’essor sélectionné des instincts sociaux complexifie l’organisation communautaire et démultiplie les capacités rationnelles nécessaires pour assumer cette complexification. Capable de transformer son milieu en adjuvant de survie, l’espèce humaine échappe largement aux conséquences de la sélection naturelle qui perd ainsi son rôle de facteur principal du devenir. Dans cette logique, la civilisation est conçue comme l’institutionnalisation rationnelle de l’altruisme, et, en tant que telle, s’oppose à la sélection naturelle éliminatoire car elle combat désormais l’élimination des moins aptes par des mesures inverses de protection.

Faut-il choisir entre la compétition et la collaboration ? 


Oui. L’humanité a besoin pour subsister d’une coopération planétaire instruite par une science globale des risques majeurs menaçant la survie de toutes ses populations et de leurs environnements ; l’idée même de frontière nationale devient un handicap pour cette avancée ultime de civilisation que serait une mutualisation complète des données et des solutions par une communauté scientifique mondiale entièrement collaborative et indépendante des intérêts privés.

À quoi ressemblerait une recherche réellement darwinienne ?


À celle qui élaborerait dans l’urgence un contrat planétaire de survie solidaire fondé sur une science globale des interactions et des compatibilités – une socio-écologie critique.

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Découvrez la nouvelle promo des ERC

Vous vouliez de l’excellence (ou pas), en voici.
La liste complète des lauréats de l’European research council pour les Consolidator Grants est parue.
Parmi les 301 lauréats de cette fin d’année, vous pourrez trouver 43 chercheurs français, aux profils variés : 20 CNRS, 7 INSERM, 3 CEA, 3 Sorbonne Université, 2 INRIA, 1 institut Pasteur, 1 Ecole française de l’extrême-orient, 1 ENS Lyon, 1 Museum d’histoire naturelle, etc.

C’est l’Euromillion
Ces Consolidator Grants, dotés au maximum de 2 millions d’euros sur une période de 5 ans, sont un Graal pour les chercheurs qui en bénéficient.
Le CNRS, qui se félicite de la bonne tenue de ses chercheurs dans cette liste d’excellence, rappelle que « la France se classe en troisième position en accueillant 43 projets récompensés, contre 32 en 2018, derrière l’Allemagne (52) et le Royaume-Uni (50) ». Si la tendance se maintient et que le Royaume-Uni se décide un jour à brexiter pour de bon, c’est la deuxième place assurée l’an prochain.