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Interview

Paul-François Fournier : « Le Covid était une sorte de crash-test »

Quel a été l’impact de la pandémie sur les start-up ? Paul-François Fournier, directeur de l’innovation chez BPIfrance, répond.

Quel impact le Covid a-t-il eu sur les start-up de Deeptech ?

La crise du covid a été particulièrement forte, mais elle ne remet pas en cause notre engagement, elle nous conforte même dans notre détermination. Évidemment, des labos ont dû fermer, des essais cliniques ont été ralentis mais on a vu aussi beaucoup de créativité et d’adaptation du côté des entreprises et des acteurs de la recherche. Le CEA a par exemple rouvert dès fin avril pour soutenir les travaux de recherche d’Aledia, qui construit une usine de LED à Grenoble. On ne peut néanmoins pas dire qu’il n’y a pas eu d’impact ; nous en verrons les conséquences dans les prochains mois. Mais cela reste positif, les écosystèmes se construisent dans la difficulté.

C’était donc une sorte de crash-test grandeur nature ?

Absolument, des entreprises — heureusement peu nombreuses — souffriront plus que les autres. Mais l’innovation, c’est aussi le risque : l’échec fait partie du cycle de vie des start-up et au final, les chercheurs qui les ont créés en tireront tout de même une expérience. Au fond, la crise a fait ressortir un certain nombre d’enjeux totalement alignés avec ceux de la Deeptech, d’où l’importance d’avoir un écosystème solide. Je pense à la santé bien sûr, à l’environnement, mais aussi au digital. Autant avoir un cran d’avance : pourquoi la France ne regagnerait-elle pas une souveraineté industrielle grâce à des outils de production et des procédés innovants ?

Et du côté des financeurs, ont-ils révisé leur stratégie ?


Les temps de cycle dans la Deeptech sont longs et, en l’occurrence, c’est une chance : les financeurs savent qu’une crise de quelques mois ne remet pas fondamentalement en cause l’écosystème. Quand le plan de développement d’une molécule se fait jusqu’à 2023 ou 2024, leur conviction ne change pas fondamentalement à cause de quelques semaines d’interruption. Je dirais qu’ils ont joué le jeu, on a vu certaines levées de fonds importantes confirmées ou engagées même en pleine crise, comme celle de Lactips.
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Interview

Marta Aymerich : « Passer à l’action avec Dora »

Depuis que Marta Aymerich  a signé Dora en 2018, l’Université de Catalogne (UOC) n’évalue plus ses chercheurs comme avant.

Quelles actions concrètes avez-vous mises en place en termes de recrutement à l’UOC ? 


Un plan d’action a été réalisé pour s’assurer que la signature de Dora n’était pas qu’une simple manifestation d’intérêt. Par exemple, nous avons changé le processus annuel de recrutement postdoctoral. Avant, seulement 35% de l’évaluation correspondait à des critères qualitatifs. Aujourd’hui, nous évaluons quatre “réalisations” scientifiques choisies par le candidat – une réalisation peut être un article, un groupe d’articles, un projet, un brevet ou tout autre résultat. 

En pratique, quels critères utilisez-vous pour évaluer des chercheurs ?

Nous avons mis en place de nouvelles procédures d’évaluation. Premièrement, les professeurs présentent la progression de leur carrière dans les trois missions universitaires (enseignement, recherche et échange de connaissances) et sont évalués par leurs pairs. Deuxièmement, les chefs de groupe de recherche voient leur CV et leur plan de recherche – une proposition écrite et une présentation publique – analysés par un conseil scientifique tous les 4 ans.

Les chercheurs ne devraient-ils pas aussi changer leurs habitudes ? 

Absolument. Nous avons pour but non seulement d’évaluer plus justement la recherche, mais également d’ouvrir les connaissances. Le système d’évaluation traditionnel incite les chercheurs à produire uniquement des publications. Mais l’article scientifique n’est qu’un moyen. En prenant en compte d’autres paramètres – la capacité à former des doctorants, l’aptitude à promouvoir les membres du groupe, l’impact sociétal – nous aimerions donc inciter les chercheurs à partager, collaborer et accroître la qualité et l’impact de leurs travaux.
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Actualité

Des publis qui peuvent rapporter gros

Des bonus à chaque papier ? Non vous ne rêvez pas. La pratique est en vigueur dans la recherche biomédicale depuis au moins quinze ans.

Le Sigaps
Derrière cet acronyme barbare (comme beaucoup) se cache le Système d’interrogation, de gestion et d’analyse des publications scientifiques. Développé en 2002 par le CHU de Lille, ce logiciel attribue pour chaque publication et par auteur un nombre de points sur deux critères : la notoriété de la revue — un espèce de facteur d’impact corrigé —, et le rang des auteurs. Ces points (entre 1 et 32) sont ensuite directement monétisés : 600 euros par an pendant quatre ans pour l’établissement (chiffre 2017). 

En toute opacité. C’est ainsi que sont attribués environ un quart des budgets des MERRI (déclinaison et explication) : 944 millions d’euros en 2016. Les établissements qui en bénéficient sont de tous types : centre hospitalo-universitaire (80%), centres de lutte contre le cancer (10%), établissements privés… Mais une fois encaissés, la répartition des budgets reste souvent très opaque, nous confie Hervé Maisonneuve, grand connaisseur du sujet.

« Ces indicateurs ne font pas l’objet de contrôles suffisants. »
Rapport de la Cour des comptes sur le rôle des CHU, 2017.

Au vu et au su de tous. En 2017, la Cour des comptes dénonçait dans son rapport un modèle d’allocation « de plus en plus fondé sur des critères de performance », ainsi que le manque de pertinence de ce type d’indicateurs pour déterminer les besoins réels des établissements. De leur côté, les chercheurs sont bien évidemment soumis à une compétition exacerbée – les fameuses querelles pour être premier auteur – entre les médecins hospitalo-universitaires (employés par les CHU) et les chercheurs non hospitaliers (employés le plus souvent par l’Inserm).

Echanges de bons procédés. Hervé Maisonneuve parle sans détours d’une véritable « mafia » autour de Sigaps. Les établissements proposent des vacations à des chercheurs non hospitaliers pour bénéficier de leurs publications ; l’annuaire des personnels est en effet déclaré par l’établissement mais jamais contrôlé. Autre exemple, le groupe privé Ramsay reverse environ 30% à ses médecins « pour les indemniser de leur temps investi ». Depuis la révélation de ces dysfonctionnements par la Cour des comptes en 2017, « rien n’a changé », déplore Hervé Maisonneuve.
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Et pour finir

La question elle est vite répondu

Arrêtez tout, on a trouvé comment refinancer la recherche : faites appel aux zigotos de Melius, qui promettent de « faire de l’argent » grâce aux portables et aux cryptomonnaies pour « acheter des véhicules haut de gamme » plutôt que de rester dans son lit superposé. La vidéo vaut le détour, jusqu’à la chute.
Allez, bisous.
 
 
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Interview

Christine Musselin : « Les tenure tracks vont créer des tensions dans les labos »

Tels des itinéraire bis pour les profs, les chaires juniors vont faire cohabiter des statuts très différents. Analyse de Christine Musselin pour TMN.

Les chaires de professeur balaieront-elles l’existant ?  

Dans un premier temps, elles ne seront qu’un dispositif parmi d’autres mais si à terme 300 chaires sont créés tous les ans [à partir de 2030, voir page 23, NDLR] sur cette base — contre environ 1 000 postes classiques ouverts au recrutement chaque année — le système sera progressivement chamboulé, d’autant que les universités sont aujourd’hui extrêmement frileuses quand il s’agit de créer des postes. Quant à leur but, des versions différentes circulent : il s’agirait d’attirer tantôt des chercheurs actuellement en poste à l’étranger et qui n’ont pas encore un dossier leur permettant de devenir professeur, tantôt de créer des postes interdisciplinaires après la thèse. Dans les deux cas, il y a une incertitude sur le public visé, même si les problèmes à résoudre sont très clairs : l’attractivité de la France dans un cas, l’accès plus précoce à des postes, dans l’autre.

Cela va-t-il créer des tensions au sein des laboratoires ?

C’est certain. C’est d’ailleurs déjà le cas entre les universitaires et les chercheurs dans certains labos. Chargés de recherche, maîtres de conférence, l’état d’esprit reste le même et la logique de gestion des carrières est semblable. Mais faire travailler ensemble des “professeurs juniors” avec des maîtres de conférence aux salaires inférieurs et aux moyens inférieurs avec des statuts différents accroît la complexité. On sous-estime la difficulté — je parle en connaissance de cause, je l’ai fait quand je m’occupais de la direction scientifique de Sciences po — qu’il y a à gérer des systèmes de gestion de carrière différents. Cela suscite des sentiments d’injustice.

D’où viendraient ces injustices exactement ?

On crée avec les “tenure track” des différences de statuts, de conditions de travail et de rémunérations qui ne sont pas nécessairement indexées sur des différences d’activité ou de résultats. A chaque étape de carrière, les personnels se retrouvent en compétition. Or, dans la “tenure track”, rien de cela : si la personne satisfait les critères fixés lors de son recrutement, elle est titularisée. A la fin, on sera donc jugé sur “ses propres résultats”, pour le dire vite. Rien n’est simple dans cette proposition et je ne parle même pas des CDI de mission scientifique. Si je trouve le principe général des “tenure track” intéressant, il devrait en ce cas progressivement être appliqué à tout le monde. Si ce principe devient le moyen d’accéder à un poste de professeur, cela ne cassera pas la fonction publique, comme il est craint aujourd’hui.
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Actualité

Ca vous dit une chaire junior ?


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La mise en place de ces “tenure track” pose de (très) nombreuses questions.

Les “tenure track” sont un serpent de mer. Mais, après de nombreuses années de réflexion et de comparaison internationales, en voici la première bosse, sous la forme des “chaires de professeur junior (CPJ)”, introduites dans le projet de loi Recherche (art.3). Au grand dam de certains, même si des aménagements (voir en conclusion ) ont été arrachés après une négociation de 21 heures avec certains syndicats. Les conditionnels qui suivent sont de rigueur, la loi n’étant pas passée devant le Parlement.

Combien ? D’un coût total de 116 millions d’euros, les CPJ représenteraient jusqu’à 25% des effectifs dans les postes concernés, chargés de recherche ou maître de conférence. Le processus de sélection durerait « plusieurs mois ».

– Comment ? Ouverts sur la base du volontariat par les établissements, ces postes axés recherche plus qu’enseignement auraient une durée de 3 à 6 ans maximum avant une promotion aux rangs de professeur ou de directeur de recherche.

– Pour qui ? Il s’agit d’attirer des chercheurs étrangers, de faire revenir des chercheurs français expatriés ou de créer des postes de recherche interdisciplinaire qui ne rentrent dans aucune case aujourd’hui.

Pourquoi tant de haine ? Itinéraire bis, promotion automatique, extinction des maîtres de conférence… La future existence des chaires de professeur junior cristallise la polémique et provoquerait des ressentiments au sein des labos (voir notre interview ). Entre les CPJ et les autres, éventuellement bloqués dans leurs carrières, le risque de déclassement est réel.

Quel avenir pour ces contrats ? Frédérique Vidal le répète : ces tenure tracks ne sont qu’un outil à la disposition des établissements, qui y auront recours si nécessaire. Un garde-fou va en limiter la portée : pour tout “tenure track” signé, les établissements devraient promouvoir un professeur d’université ou un directeur de recherche. Il y a une sorte de précédent : les contrats LRU, qui n’ont jamais fait florès. En sera-t-il de même pour les profs junior ?
Une petite phrase énigmatique

Et elle se trouve dans l’exposé des motifs de la loi. La voici : « Compte tenu de l’évolution des départs à la retraite (…), il serait possible de maintenir en flux le nombre actuel de postes mis aux concours et de consacrer tout ou partie du solde à cette nouvelle voie d’accès aux corps de professeurs et de directeurs de recherche ». Doit-on comprendre que les chaires juniors seraient créés grâce au non-remplacement des départs en retraite, voire diminuerait d’autant les effectifs recrutés sur concours ?
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Interview

Marianne Le Gagneur : « Télétravailler doit rester un choix »

Spécialiste du télétravail chez les cadres, Marianne Le Gagneur a du pain sur la planche. Elle évoque pour TMN la situation des chercheurs.

Le télétravail n’était-il pas relativement naturel pour les chercheurs ?

Ils n’ont pas attendu le confinement pour s’y mettre et sont dans la catégorie socio-professionnelle qui utilise d’habitude ce dispositif. Mais, alors que le télétravail se fait en général à distance du lieu de travail dans le cadre d’accords négociés, les chercheurs l’effectuaient souvent sous forme de “surtravail” en poursuivant leur journée de travail à la maison. Ce “surtravail”, en dehors de tout cadre légal, va dans le sens de la liberté des espaces de travail du chercheur.

La recherche est un travail collectif. Y-a-t-il un risque de perte de sens ?

Tout à fait. Dans ce télétravail qui s’est installé sur le long terme, des solutions ont été mises en place pour pallier cette solitude. Mais la situation était plus compliquée pour celles et ceux qui s’occupaient de leurs enfants à domicile – et en particulier pour les femmes, qui ont en moyenne moins publié. La perte de sens peut s’expliquer par la disparition du collectif mais, selon moi, elle est avant tout due à la crise que nous avons vécue. Certains chercheurs ont pu se sentir désœuvrés car pas directement utiles.

Comment envisager le retour à la normale ? 


Le télétravail va probablement se répandre mais il doit rester choisi et non subi. Car, si certains sont très intéressés par le télétravail, pour d’autres ne plus se rendre sur leur lieu de travail est vécu comme une privation. De plus, au lieu de laisser le flou sur les conditions de travail des chercheurs et les laisser gérer eux-mêmes, on pourrait élaborer des règles communes comme le télétravail partiel et fournir des outils adéquats. On a laissé aux individus la charge de prendre soin les uns des autres car rien de systématique n’a été mis en place au niveau institutionnel.