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Interview

Marie-Christine Bénard « S’en prendre à ces visas n’est pas du Trump pur jus »

Les chercheurs interdits de visa aux Etats-Unis ?
Christine Bénard qui appartient à l’Avrist livre son explication à TMN.

Comment expliquer la suspension par Donald Trump des visas H1B ?

L’explication numéro 1 est son populisme protectionniste. Il vise sa réélection en novembre : ce sujet des visas et de l’immigration “parle” globalement aux électeurs de Trump. Dans le détail, pour les USA, s’en prendre aux visas temporaires H1B — accordés à raison de trois ans, renouvelable une fois en cas de CDD contracté avec un employeur américain, pour les personnes très qualifiées — est plus complexe et moins primaire. Autrement dit ce n’est pas du Trump pur jus, c’est un souci stratégique constant des Etats-Unis. Le sujet est tout sauf nouveau et il est particulièrement sensible chez les Républicains. Je l’ai déjà connu il y a vingt ans à l’époque de George W. Bush.

Ce n’est donc pas une lubie de Donald Trump…

Depuis 20 ans, les Etats-Unis dépendent de l’importation de compétences de haut niveau en recherche, pour continuer à se maintenir comme leader international. Depuis 20 ans la proportion des jeunes Américains dans les carrières de recherche n’a cessé de diminuer car elles sont mal rémunérées et longtemps précaires, jusqu’à une éventuelle “tenure”. Pour y parvenir il faut être recruté comme « assistant professor » sur une « tenure track » [Ca ne vous rappelle, rien ?, NDLR]. D’autre part, importer des jeunes très bien formés par d’autres pays, aux frais de ces derniers, est économiquement une très bonne affaire. C’est l’identité des US : ce pays n’a cru et embelli que grâce à l’immigration.

Est-il toujours envisageable de s’expatrier scientifiquement aux USA malgré cette situation ?

La réponse à cette question ainsi formulée est compliquée car elle mélange des circonstances temporaires (la pandémie) qui n’ont rien à voir avec les parcours scientifiques d’une part et, d’autre part, des tendances lourdes sur le long terme, propres aux parcours scientifiques des premières années après la thèse, qui restent in fine assez peu sensibles pour les Français aux valses politiques américaines sur les visas. En effet, la pandémie va rester un paramètre majeur dans la circulation des chercheurs sur les 12 à 24 mois qui viennent, quelle que soit la nature de la visite ou du séjour…
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Actualité

Demandez les primes


De quoi apaiser les esprits ?
On en sait un peu plus sur  les primes promises pour 2021 par le ministère.

C’est une des promesses majeures de la ministre. Des revalorisations pour tous les chercheurs dès l’année prochaine, avec un budget total de 92 millions d’euros pour « tous les personnels chercheurs, enseignants, enseignants‐chercheurs, ITRF, ITA et la filière bibliothèque ». Après une réunion le 15 juillet et une autre le 17 au ministère, beaucoup d’infos ont fuité de la rue Descartes. En voici un “digest” sonnant et trébuchant pour 2021 :
– La prime de recherche passera de 1 260 euros à 1 750 euros pour les professeurs et à plus de 2 300 euros pour les maîtres de conf’;
– La prime de recherche passera de 977 euros à plus de 1 600 euros pour les DR et à plus de 2 200 euros pour les chargés de recherche.

Cent euros pour enseigner. Avec un brin de mauvaise foi, on remarquera que la charge d’enseignement “vaut” 100 euros de prime en plus. Et avec un peu moins de mauvaise foi, que les jeunes chercheurs sont favorisés dès 2021 avant que leurs aînés ne les rattrapent à l’horizon 2027. Pas de nouvelles en revanche de l’embauche des jeunes chercheurs à au moins deux Smic.

Un calendrier de l’avent. Avec ces annonces, le ministère veut tracer la route jusqu’en 2027, date à laquelle chercheurs et enseignants-chercheurs devraient toucher en moyenne 9 600 euros par an de primes, soit un gain moyen compris entre 6 500 et 7 000 euros.

Moins égaux que les autres. Les primes des chercheurs restent très inférieures au reste de la fonction publique (5% versus 60% chez certaines catégories de fonctionnaires). Cela aura une importance toute particulière dans la future réforme des retraites que la Covid-19 a repoussé au moins à la fin de l’année.
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Interview

Daniel Suchet : « Le projet est né autour d’un verre aux Utopiales »

Aux côtés de Roland Lehoucq, le physicien Daniel Suchet a co-dirigé Nos Futurs. Ce recueil de textes autour du changement climatique a réuni des experts et des auteurs qui ne vous sont certainement pas inconnus.

Comment est né le projet Nos Futurs ? 

Autour d’un verre aux Utopiales ! Nous parlions du problème de la diffusion des connaissances scientifiques autour de la question climatique. Nous étions convaincus que nous avions besoin à la fois de la fiction et de la science. Comment s’imaginer les situations à venir ? C’est la science-fiction qui sait faire ça. Mais on ne peut pas s’appuyer uniquement sur ses propres idées reçues, sinon on risque de dire des choses tout à fait fausses. Les scientifiques sont donc indispensables.

Qui a écrit ? Les scientifiques ou les auteurs ? 

Les deux ! Nous avons formé des binômes autour de dix thèmes. Chaque binôme était constitué d’un expert scientifique sur le sujet et d’un auteur. Ensemble ils devaient co-construire deux textes : un texte scientifique et un texte de fiction. Ils avaient carte blanche pour la méthode (écriture à quatre mains, uniquement relecture du texte de l’autre…).

Comment avez-vous choisi les thèmes ? 


Nous voulions mettre en avant le fait que le changement climatique n’est pas seulement une hausse de la température mais qu’il a des répercussions dans le domaine de l’énergie, la production, etc… Le tableau des objectifs de développement durable et des leviers d’action climatique proposé par le Giec nous a servi de base. Puis nous avons réalisé un sondage qui a recueilli presque 800 votes pour retenir les dix thèmes qui préoccupent le plus les futurs lecteurs de Nos Futurs.
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Actualité

Vacances, j’oublie tout (ou presque)

Que ceux qui n’ont jamais culpabilisé de partir en congé lèvent la main ! 

Un pincement avant le départ en vacances ?

Certains se sentent coupable, comme en témoigne Mari Eslami, postdoctorante en sciences des matériaux sur Twitter. Les réponses à son tweet sont très variées : certains se rassurent en vantant les bienfaits des vacances sur la productivité, d’autres ne connaissent pas ce problème…« Est-ce que (…) vous vous sentez coupable de prendre des vacances ? Moi, oui, tout le temps ! » indique Mari Eslami, postdoctorante en sciences des matériaux.

Tout un symbole. Même si cette culpabilité n’est pas réservée aux chercheurs, elle est quand même caractéristique du monde de la recherche qui « valorise la figure symbolique du chercheur entièrement investi dans son travail, supposant un rapport quasi exclusif de l’individu au métier », selon María del Río Carral, chercheuse en psychologie, et Bernard Fusulier, sociologue.

Un mélange des genres. Cette confusion entre vie perso et pro que rapportent les auteurs ne vous est certainement pas étrangère. « 65% ne parviennent pas à complètement déconnecter », toujours d’après la même enquête parue dans la revue Temporalités, menée sur des chargés de recherche “junior”. Ceux-ci n’avaient pris que 19 jours de congé pendant leur première année d’exercice.

Joindre l’utile à l’agréable. Profiter d’un déplacement pour une conférence ou une collaboration et prendre des vacances après, est aussi souvent accepté. « Je suis allé en Grèce, je me suis dit que j’allais travailler deux semaines et prendre une semaine (…) de vacances après. C’est bizarre, mais je ne suis pas le seul, nous sommes nombreux », témoignait un jeune chercheur dans la même enquête. Cette année, pas de vacances-conférence, les conférences sont virtuelles…
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Interview

Carole Dreyer : « La méfiance persiste parfois »



Carole Dreyer dirige la Satt Conectus ainsi que le réseau des Satt. Académie ou start-up, brevet ou publication ? Pour TMN, cette spécialiste de la valorisation décrypte ces deux mondes.

Après des remous à leur naissance, comment vont les Satt aujourd’hui ? 

Elles vont bien, merci, l’évaluation faite par l’Etat a permis le refinancement de l’ensemble des structures, nous sommes donc au rendez-vous. Depuis notre création en 2012, il a fallu du temps pour matérialiser notre impact. Mais aujourd’hui les start-up que nous soutenons sont robustes et séduisent les investisseurs tandis que les entreprises à qui nous transférons des technologies ont des chiffres d’affaires en hausse. Avec ce que nous avons mis en place, nous avons bâti des liens forts sur les territoires avec les universités ou les établissements de recherche. S’y ajoute une relation de confiance avec les chercheurs ; de plus en plus de découvertes scientifiques sont converties en impacts socioéconomiques. Ces succès nourrissent leur motivation et la nôtre : nous sommes en train de tracer un cercle vertueux qui permet également d’assurer notre modèle économique.

Le modèle des Satt est-il aujourd’hui pérenne ?


Nos premières années d’existence ont été marquées par des dépenses, nécessaires pour créer de la valeur et susciter l’intérêt. Il faut rappeler que dans ce secteur de l’innovation de rupture, le risque est tel que personne d’autre n’y investit ; c’est pour cela que nous avons été créés. Aujourd’hui nos résultats démontrent la pertinence de nos investissements.

Est-ce que le système est plus simple aujourd’hui qu’il ne l’était il y a huit ans, quand les Satt sont nées ?


Clairement, oui, même si nous ne l’avons pas simplifié de manière uniforme. Nous représentons 160 établissements qui, auparavant, avaient leur propre structure interne de valorisation sur toute la chaîne. Nous avons tous simplifié l’accès à l’innovation et qualifié cette innovation. Ensuite, notre force est justement d’avoir des périmètres complémentaires différents, ce qui peut être perçu comme une complexité au niveau national alors que cela ne l’est pas dans les territoires. Ces périmètres sont cohérents avec les besoins des sites où, parfois, certaines SATT gèrent l’incubation, d’autres l’activité partenariale. Nous collaborons avec les structures de valorisation quand elles existent, car les périmètres sont clairement définis et cela reste lisible pour les chercheurs. Même si, pour ceux qui arrivent dans le système, il faut évidemment toujours faire preuve de pédagogie.

Pourquoi les doctorants se dirigent en priorité vers la recherche académique ?

Elle octroie une liberté que n’a pas le privé qui raisonne en chiffre d’affaires ou retour sur investissement, et donc à plus court terme. On ne peut pas passer dix ans à chercher sur un sujet précis en entreprise.
Mais seuls 15% des jeunes docteurs resteront dans le public, vu l’offre d’emploi disponible. Par ailleurs, créer une start-up demande également des compétences business, financières, légales ou encore marketing pour lesquelles les chercheurs n’ont généralement pas été formés. Ce qui ne veut évidemment pas dire qu’ils sont désarmés mais il y a une crainte de leur part pour se lancer : il faut donc trouver le juste discours. Pousser les chercheurs à l’entrepreneuriat veut dire les accompagner. C’est une démarche qu’ils ne peuvent faire totalement seul. Cela passe souvent par une rencontre avec un binôme, un associé au profil business qui doit prendre sa part de risque dans l’aventure. Les jeunes chercheurs ne deviendront pas tous des CEO, cela n’aurait aucun sens.

Quand on parle innovation, on parle très majoritairement de sciences exactes, comment inclure les sciences humaines ?


Les SHS font partie du schéma de l’innovation. Il est vrai que ce n’est pas toujours simple de structurer et de “maturer” un projet en sciences humaines principalement à cause de la question de l’actif, importante dans le domaine de la valorisation. Mais je ne parle là que de gros investissements, parfois il y a des projets beaucoup plus simples ou des valorisations sous d’autres formes comme des collaborations de recherche qui peuvent être mises en place, plutôt que des transferts de technologie. Il faut trouver une clef d’entrée. Un exemple du réseau Conectus : nous avions investi dans un projet permettant la création de la société Almedia qui permettait d’apprendre le français aux étrangers par un jeu en ligne. Le projet associait un sociologue, un linguiste, des informaticiens. C’était un pur projet de sciences humaines avec une création d’entreprise à la clef qui associait SHS et techno. Les sciences sociales peuvent venir en complément sur des projets technologiques sur des aspects légaux, réglementaires, marketing ou autre.

Créer une start-up est-il synonyme de départ de l’académie ?


La loi Pacte permet désormais que les chercheurs soient pour partie dans l’entreprise [plus de détails ici, NDLR], pour partie dans le laboratoire. Cela fait bouger les choses. Auparavant, les chercheurs avaient recours à trois dispositifs dont le 25.1 qui leur permettait d’obtenir un détachement d’un maximum de 6 ans sans plus être au laboratoire. Dans ce schéma, le lien avec le labo était plus distant, il publiait moins ; pas évident donc de revenir dans l’académie sans “track record”, notamment pour les demandes de financement.

Que pensez-vous du volet “inno” de la loi recherche ?


On aurait aimé plus de densité sur cet aspect dans la loi. La valorisation a longtemps été le parent pauvre et reste encore marginalisée parfois. L’éternelle question de la publication versus la valorisation est un sujet dont on parle depuis 20 ans. Les chercheurs sont confrontés à des choix de carrière : on leur répète sans cesse que la publication fait tout. Mais déposer un brevet n’est pas incompatible avec le fait de publier. 

Quand on évoque les start-up, la méfiance est-elle encore présente ?


Oui elle persiste parfois, même si on a beaucoup évolué en quelques années. Certains chercheurs se disent peut être que cela ne devrait pas faire partie de leur activité voire que c’est une perte de temps. On doit faire oeuvre de conviction. Les nouvelles générations ont une vision plus positive ; leur environnement — la culture du laboratoire dans lequel ils évoluent — joue un rôle primordial.  
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Interview

Annaïg Mahé & Vincent Larivière : « Les altmetrics ne sont pas assez fiables »




Spécialistes des publications et de la communication scientifique, les chercheurs Annaïg Mahé & Vincent Larivière partagent leurs visions des altmetrics.

En quoi les altmetrics ont changé depuis dix ans ?


A. M. 
Après un pic d’activité entre 2010 et 2015, le soufflet des altmetrics est retombé. Maintenant, nous sommes dans une phase d’étude dans laquelle nous pouvons creuser le sujet et faire notamment la comparaison avec les mesures de citations.
V. L. Il y a aujourd’hui consensus pour dire que les articles tweetés le sont principalement par d’autres scientifiques – et non par le grand public comme auparavant. La crise actuelle du Covid-19 donne une plus grande importance aux échanges entre scientifiques sur Twitter. 

Quelle utilité pour les chercheurs ?

A. M. 
Ils peuvent être un outil de navigation et de veille. Grâce aux détails du score altmetric, on peut remonter aux mentions d’un article, et ainsi retrouver la communauté qui gravite autour d’un sujet, et se constituer une liste d’articles pertinents.
V. L. C’est un lieu unique pour avoir une vue globale de l’influence de ses propres publications. Je l’utilise pour voir l’ensemble des commentaires à mes articles. 

Peuvent-ils servir à l’évaluation des chercheurs ?


A. M. 
Je dirais qu’ils ne sont actuellement pas suffisamment fiables pour évaluer les chercheurs [voir notre encadré sur les limites, NDLR]. De plus, il existe de grandes inégalités dans l’usage des médias sociaux [en 2014, le Kardashian index montrait que les femmes restaient peu visibles sur les réseaux sociaux, NDLR].
V. L. Il y a deux ans, j’aurais répondu surtout pas ! Mais aujourd’hui, avec l’engagement grandissant des chercheurs sur les médias sociaux, je pense qu’il serait pertinent de valoriser les chercheurs qui contribuent à un débat sain sur ces plateformes.