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Actualité

(Petit) tour de vis sur le Crédit impôt recherche


Ceci n’est pas une niche
Si l’existence du CIR n’est pas remis en cause — loin de là — y avoir recours sera moins avantageux dans certains cas.

Ha le crédit impôt recherche (CIR) ! Il y a la loi Recherche, bien sûr, qui vient d’être votée à l’Assemblée. Mais c’est aussi la saison des lois de financement (ici le PLF en intégralité pour les studieux) qui contient des dispositions pour la recherche. Les deux textes avancent main dans la main sur certains sujets : les fonds de l’Agence nationale de la recherche, entre autres.

Une niche dans la niche. Le CIR représente environ 6,5 milliards d’euros par an — beaucoup réclament sa suppression pure et simple — et connait un tour de vis dans le PLF. L’article 8 (voir page 55) prévoit en effet de supprimer le doublement de l’assiette de son CIR si une entreprise externalise auprès d’un établissement de recherche public. Il ne sera donc plus aussi avantageux d’avoir recours à des organismes comme les instituts Carnot.

Lot de consolation ? Qu’on se rassure, la recherche publique/privée n’a tout de même pas été oubliée dans le Plan de relance puisque 302 millions d’euros lui sont fléchés. Cela se fait notamment sous forme de “prêts” de personnels, subventionnés à 80%, aux laboratoires publics qui le souhaiteraient (voir la page 137 de France Relance), afin d’éviter que leur entreprise ne les licencie… que cette dernière bénéficie déjà du CIR ou pas.
Les contrats doctoraux attendront

Il est encore trop tôt pour un bilan. Si Frédérique Vidal s’est montrée rassurante à plusieurs reprises sur le financement de la prolongation des contrats de thèses, il n’y en a pas trace dans le fameux PLF (voir ci-dessus ). Et pour cause, selon son cabinet, les discussions sont encore en cours avec Bercy au motif que si la Covid a engendré des dépenses pour les opérateurs de recherche, universités en tête, elle a aussi permis des économies. La seule urgence semble donc de faire les comptes.
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Interview

Emilien Schultz : « Ce n’est pas une simple parenthèse »

Avec sa double casquette de sociologue des sciences et de postdoc, Emilien Schultz est le candidat parfait pour une interview sur les contrats postdoctoraux.

Peu d’études, peu d’assos… Personne ne s’intéresse aux postdocs ? 

En effet, il n’y a que très peu de travaux et d’initiatives dédiés aux postdocs à ma connaissance – du moins en France. Les postdocs ne correspondent pas à un statut clairement défini : c’est un produit en creux d’autres catégories mieux délimitées, la thèse d’un côté et la position de chercheur ou d’enseignant chercheur-titulaire qui structurent encore beaucoup les carrières. D’une certaine manière, ils sont uniquement lus sous le statut de « docteurs » alors que leurs situations sont très hétérogènes : entre avoir une bourse Marie Curie et survivre avec un contrat à temps partiel de quelques mois, l’expérience et les activités sont complètement différentes. Il s’agit aussi d’un statut qui n’est pas revendiqué par les intéressés qui, sauf exception, veulent en sortir le plus rapidement possible. 

Comment expliquer leur développement en France ? 

La multiplication en France des contrats postdoctoraux est très liée au développement du financement sur projets, pour lequel l’ANR a été un acteur important. Il en résulte des attentes contradictoires. D’un côté, les chercheurs demandaient à pouvoir financer leurs jeunes collègues et ont donc pu le faire. De l’autre, cela a conduit à l’explosion de ce type de contrat dans les équipes sans être accompagné par une réflexion politique de leur place dans le fonctionnement de la recherche. Ainsi, lorsque l’ANR a été créée en 2005, peu de monde avait réfléchi aux conséquences – le sujet a pris de l’importance à partir des Assises de la recherche en 2012. Il n’y a alors qu’un pas à associer ce laisser-faire dans la multiplication de ce type de contrat à une volonté d’éroder les institutions existantes, comme cela peut être observé aussi par le recours aux vacataires dans les enseignements à l’université. 

Le postdoc représente t-il une chance de se former ou une main-d’œuvre indispensable dans les labos ? 

Aujourd’hui, le discours consistant à dire qu’une thèse ne suffit plus pour avoir un poste s’est généralisé et les parcours professionnels se sont complexifiés avec des exigences d’expérience à l’étranger et une augmentation du nombre de publications nécessaires. Le postdoc occupe donc un double rôle d’étape dans les carrières et de situation professionnelle à part entière, souvent subie en l’absence d’alternative. Loin d’être une activité de recherche autonome, ces chercheurs réalisent bien souvent des tâches indispensables à des recherches collectives. Il est alors important d’éviter les visions enchantées qui réduisent ce travail à une simple parenthèse vers une situation pérenne — qui souvent n’arrive jamais. Et de lutter contre leur invisibilisation au profit des chercheurs permanents dans la conduite des projets de recherche et dans le fonctionnement des laboratoires.
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Et pour finir

Couteau naturel

J’espère que vous avez terminé votre petit déjeuner. Le couteau ci-dessous a été fabriqué dans le cadre d’une étude de réplication archéologique… en matière fécale humaine ! Les chercheurs sont formels : ça ne marche pas (pas la peine d’expérimenter chez vous). En revanche, ils ont été récompensés par le Ig-Nobel, catégorie sciences des matériaux. 

 Erratum.  Le 18 septembre, nous citions la plateforme du CNRS Trouver un expert comme exemple de mise en relation entre journalistes et scientifiques, ce qui n’est pas le cas – elle a été développée pour du conseil aux entreprises. En revanche, le site Les Expertes France rentre dans cette catégorie.
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Actualité

Les postdocs, ces grands oubliés

Plein feux sur les postdocs à travers les résultats de #ParlonsRecherche. Tout n’est pas rose pour ces chercheurs condamnés à l’entre-deux.
L’homme invisible de la recherche.

Pire que les doctorants. Notre enquête #ParlonsRecherche révèle que l’état d’esprit des postdoctorants ou ATER est plus noir que celui des doctorants. Comparés aux autres chercheurs (doctorants ou permanents), les postdocs : 
sont les plus pessimistes  : 71% d’entre eux le sont quant à leur avenir ;
 sont ceux qui se sentent le moins reconnus à leur juste valeur  (74%); 
ne se sentent pas privilégiés  (56%) ; ils sont la seule catégorie, avec les doctorants de 4e année et plus, à répondre en majorité non.

Un point positif. Leur situation financière n’est en moyenne pas difficile — certains contrats postdoctoraux sont en effet bien rémunérés —, bien qu’ils estiment ne pas être payés à la hauteur de leurs qualifications pour 81% d’entre eux.

Comment en est-on arrivé là ? Avant de vous plonger dans l’analyse d’Emilien Schultz plus bas, voici quelques éléments : 

Leur nombre explose depuis 20 ans. Au CNRS par exemple, le nombre de “CDD chercheurs” en 2000 était de 715, 6% du nombre de permanents. En 2018, il a triplé en passant à à 2 243. Sont-ils devenus indispensables à l’heure où les recrutements de permanents baissent mais le nombre de doctorants à encadrer augmente ?  

Du provisoire qui dure. Le recul de l’âge de recrutement a transformé le postdoc en un enchaînement de contrats. En France, la loi Sauvadet limite cette période à six ans (relire notre enquête) mais certains la contournent ou s’épuisent avant. Des chercheurs analysaient en 2017 les raisons de ces abandons 

Le cadet de la recherche. Coincés entre les doctorants et les permanents, comme le deuxième enfant d’une fratrie de trois, les postdocs n’ont pas l’avantage des plus jeunes (encadrement, soutien d’associations) mais ont, pour certains, beaucoup de responsabilités (financements, projets).
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Interview

Philippe Berta : « Il n’y a pas de volonté d’exclusion »

La loi Recherche favorise-t-elle les sciences dures ? TMN a posé la question à Philippe Berta, député et rapporteur de la LPR, qui est également chercheur.

Pour vous, la loi Recherche a-t-elle « atteint sa cible », pour parler comme un publicitaire ?  

J’étais, il y a peu, à une réunion de responsables de masters où j’ai pu faire le constat qu’à part les syndicalisés, la majorité ne suit pas du tout. Ce n’est que mon point de vue mais on est tous dans nos bulles, dans un monde à part ; c’était aussi mon cas quand je n’étais pas député. Je suivais peu les lois, même celles qui auraient pu me concerner. Il m’a fallu étudier le dossier pour mesurer à quel point les cinq dernières années de financement de la recherche n’ont été qu’une goutte d’eau.

Quel est le péché originel ? Le manque de pédagogie ?

Il aurait déjà été intéressant que le courrier du ministère ait été reçu par tous les enseignants chercheurs de ce pays pour leur expliquer ce que la loi Recherche allait changer pour leur fiche de salaire. Le texte serait peut-être perçu différemment. La priorité a été donnée aux bas salaires : c’est sur cette population que la France décroche par rapport à l’OCDE. J’insiste sur le fait que la LPR reste un des plus grands investissements dans la recherche depuis la seconde guerre mondiale.

La loi défavorise-t-elle les sciences humaines ? 

Il n’y a pas de volonté d’exclusion même si c’est peut-être leur ressenti. Il est vrai que si j’étais chercheur en mathématiques, en sciences morales ou en période médiévale, je ne serais pas sensible à ce texte car ce n’est pas dans ces domaines que les moyens sont cruciaux pour être visible à l’international. Il y a pourtant eu, de la part des députés, une demande pour ouvrir plus l’ANR aux sciences humaines mais beaucoup de mes collègues en sciences humaines ne candidatent pas. Quand on met sur la table 20% de docteurs en plus et 100% de thèses financées, il faut aussi que les chercheurs en sciences sociales en soient conscients.

Les CDI de mission et les tenure tracks concentrent toutes les critiques…

Au cours de mes auditions, la demande pour la mise en place de CDI de mission était unanime. Pourquoi ? La loi Sauvadet “mettait dehors” au bout de six ans certains personnels, dans des conditions dégradées souvent sans même une publication ou un brevet à mettre sur le CV. Je comprends bien que ce n’est pas l’idéal mais nous n’avons pas les moyens de fonctionnariser tout le monde et, pour les intéressés, c’est le jour et la nuit. Mes propres enfants ont été embauchés sous ce régime, ça a été un pied à l’étrier vers le CDI tout court. Quant aux tenure tracks, ils resteront à la main des établissements.
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Actualité

Les malentendus de la loi Recherche

L’enquête #ParlonsRecherche dessine en creux une crainte de la précarité et la fracture entre disciplines.

Mais sur un malentendu, ça peut marcher

La tempête parfaite. La rentrée devait être acrobatique, entre Covid et grogne sociale, elle est pour l’instant calme du côté de la loi de programmation de la recherche (LPR), en cours de discussion au Parlement. Sortis de plusieurs mois de confinement, les enseignants et chercheurs, englués dans une rentrée entre présentiel, hybride et distanciel, en ont presque oublié de se mobiliser. Ces derniers temps, des différences d’approche politiques sont apparues entre les disciplines. En voici une sélection : 

Plus de 20% des chercheurs en sciences humaines   ont manifesté d’une manière ou d’une autre contre la LPR, environ 13% en sciences exactes
– 60% des chercheurs en sciences humaines   ont entendu parler de la LPR, contre moins de 50% pour les sciences exactes. 
Seuls 29% des chercheurs en sciences exactes  ont déjà échangé avec leurs collègues à propos de la LPR, contre plus de 50% en sciences humaines.

Un résultat marquant. 60% des chercheurs en sciences humaines estiment que les budgets ne sont pas répartis également entre les disciplines, ils ne sont qu’environ 40 % en sciences exactes. Enfonçons le clou : plus de 90% des chercheurs en sciences humaines pensent qu’il n’ont pas assez de moyens budgétaires mais seuls 54% des chercheurs en sciences exactes pensent que les sciences humaines n’ont pas assez de moyens.

NB. Pour des questions de lisibilité, nous indiquons « XX% des chercheurs…. », il faudrait en toute rigueur dire « XX% des répondants à l’enquête ».
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Interview

Olivier Ezratty : « On associe trop vite chercheurs et business developers »

Ce consultant, à qui rien de l’innovation n’échappe, livre à TMN son analyse des résultats de l’enquête ParlonsRecherche.
La dernière passion d’Olivier Ezratty? Le quantique.

Les chercheurs ayant répondu à l’enquête ParlonsRecherche se plaignent d’une trop forte médiatisation des start-up. Qu’en pensez-vous ? 

La médiatisation est forte en France depuis le lancement de la French Tech en 2014. A suivi le plan Deeptech de BPIfrance, qui a pour but de valoriser directement les résultats de la recherche. Il reste encore beaucoup à faire dans l’accompagnement des start-up issues de la recherche. Aujourd’hui, on associe trop vite les chercheurs avec des business developers. Or, il est nécessaire d’avoir un responsable du développement d’un produit – un product manager – qui fait l’intermédiaire. 

Devant la difficulté de trouver un poste dans l’académie, certains se tournent vers l’entrepreneuriat. Avez-vous vu des start-up faire de la recherche déguisée ? 

Oui, il y en a quelques-unes. Et cela peut poser des difficultés lorsque les jalons clés ne sont pas atteints et que les financements privés ne veulent plus suivre. Il faut donc renforcer les formations des chercheurs pour faire rêver les investisseurs. Une méthode hybride permet de continuer à faire de la recherche en gardant une composante dans un laboratoire financé par le public d’un côté et la start-up de l’autre côté qui travaille sur l’industrialisation.

Le poids des start-up françaises issues de la recherche a-t-il augmenté à l’international ? 

J’ai pu constater ces dernières années l’émergence d’un grand nombre de start-up en informatique quantique et en intelligence artificielle. Il est intéressant de voir que de plus en plus de chercheurs issus de Polytechnique et des écoles normales supérieures se lancent. Il y a une véritable culture de l’entrepreneuriat qui se développe dans les grandes écoles qui veulent jouer un rôle dans l’innovation. Cette acculturation arrive aux chercheurs à travers l’exemple, mais aussi par des formations spécialisées comme le HEC Challenge +.
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L’inno, je t’aime (moi non plus)

Les chercheurs sont poussés à innover depuis quelques années mais toutes les disciplines ne sont pas à égalité. Analyse d’un rapport contrarié.

La stature — et le statut — du chercheur-entrepreneur sont une invention récente. Entériné par la loi Pacte ou le plan Deeptech, l’idée que la recherche ne s’arrête pas aux portes du labo a fait du chemin depuis quelques années.

Mais cette réalité n’est pas la même pour tous. En effet, les résultats  de #ParlonsRecherche montrent qu’elle est vécue différemment entre les disciplines, (lire également Beyonlab#1). Voici quelques chiffres :
43% des chercheurs en « sciences dures »  (on se comprend) pensent qu’il n’y a pas assez de start-up issues de la recherche publique contre moins de 30% en sciences humaines.

Le scientisme est-il de retour ? Les disciplines se distinguent également sur leur confiance dans l’avenir et la technologie, avec des différences marquées dont voici deux exemples :

 Près de 60% des chercheurs en sciences humaines  ne sont pas d’accord avec l’affirmation « grâce à la science et la technologie, nos enfants vivront mieux que nous » (contre 45% en sciences dures). 
A la question (manichéenne) « La science fait-elle plus de mal que de bien ? » , les différences s’amenuisent néanmoins, la majorité (71%) de nos répondants s’accordant à dire que la science fait du bien. Ouf.

On se permet une remarque personnelle. Si elle fait autant parler, c’est que l’innovation est une idée qui percute un idéal : celui d’une recherche désintéressée et, par essence, sans modèle économique.
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Et pour finir

Arnaud Saint-Martin « Quand ça chauffe, les valeurs réapparaissent »

En réaction à la crise de la Covid et la loi Recherche, le sociologue Arnaud Saint-Martin propose une réflexion sur l’ethos de la science.

L’autonomie de la science était-elle déjà en danger avant la crise du Covid ? 

Dès lors que la recherche est entravée, l’autonomie, c’est-à-dire la capacité collective de définir ses propres problèmes, selon des termes spécifiques, est en danger. Dans l’ouvrage, je prends l’exemple de l’obscurantisme anti-scientifique de Trump aux États-Unis et la marche pour les sciences organisée en 2017 en réaction à cette involution : ce fut un moment important de rappel de la prééminence de l’ethos de la science et de la nécessité de l’autonomie.

Les chercheurs réaffirment-ils leurs valeurs en ces périodes difficiles ? 

L’institution de la science s’appuie sur un système collectif de valeurs à la fois morales et scientifiques, parmi lesquelles l’universalisme, la passion de la vérité, l’exigence de la prudence, le temps long, etc. C’est dans les moments où ça chauffe qu’elles sont réinvesties – en dehors de ces moments de mobilisation, elles sont en arrière-plan, évidentes et non questionnées.

Pourquoi la science, que vous décrivez comme un « style de vie », n’a de sens que si elle est partagée ? 


La science s’éprouve collectivement : d’abord en s’appuyant sur une montagne de travaux précédents puis en soumettant son travail à l’avis de la communauté. Enfin, le partage se fait – devrait se faire – avec les publics extérieurs au champ scientifique. Un savoir grandit d’autant plus qu’il est mis dans le collectif et c’est en cela qu’il constitue une conquête culturelle de première importance. Qu’il nous faut défendre et illustrer, sans pour autant céder à l’hubris de la science qui sauve le monde.

Arnaud Saint-Martin est l’auteur du livre sobrement intitulé Science paru chez Anamosa. La collection dont fait partie ce titre propose des ouvrages courts et incisifs autour d’un mot dévoyé ou instrumentalisé.

Photo © Caroline Meslier Saint-Martin