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Interview

Roland Lehoucq : « La science-fiction hydrate la science »

Le festival les Utopiales était prévu pour ce weekend. Projetons-nous dans un monde non confiné avec son président, l’astrophysicien Roland Lehoucq qui, depuis 2012, ajoute une dose de science aux Utopiales.

Quelle place a la science dans la science-fiction ? 

La science-fiction est née d’une sorte de fascination pour la science et la technique – la science est donc le moteur de l’intrigue. Mais c’est surtout une littérature qui fait interagir les humains avec la science – une sorte d’expérience de pensée sociale et politique. Les sciences essaient de comprendre le monde et la science-fiction en fait un récit.

A l’inverse, qu’apporte la science-fiction à la science ?

Pour les scientifiques, cela permet de se décoller un peu de ses travaux : en faisant un pas de côté, on peut mieux observer l’objet de son étude – c’est ce qu’on appelle la distanciation cognitive. Les scientifiques qui lisent de la science-fiction voient le point de vue des publics et les représentations que ces derniers ont de la science. En la mettant en situation, la science-fiction hydrate la science, la rend plus humaine et plus concrète.

Avez-vous un exemple ? 

Nos Futurs, l’anthologie que j’ai co-dirigée [avec Daniel Suchet, dont l’interview est à relire ici]. Elle met en récit les rapports du Giec – pour résumer un peu brutalement – afin de rendre plus digeste des choses que certaines personnes s’interdiraient de lire autrement. Dans un tout autre registre, nous souhaitions aborder aux Utopiales la Covid à travers le prisme de la science-fiction qui est très volontiers apocalyptique : qu’est-ce qu’il reste après une catastrophe ?
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Du rififi à la section 36

Une décision du tribunal d’Angers prive de poste cinq chercheurs. Explication.

Contentieux et conséquences. C’est une histoire qui dure entre le chercheur Matthieu Grossetête et le CNRS, plus particulièrement sa section 36 (sociologie et science du droit). Le 07 octobre dernier, le tribunal a annulé le concours 2019 dont ce chercheur a été évincé et a condamné le CNRS à lui verser 1 500 euros.

Décisions désavouées. Le problème est maintenant que l’annulation s’étend aux cinq chercheurs promus en 2019, ce qui rend la situation un peu plus inextricable pour l’institut. Vous pourrez trouver la décision de justice ici grâce à Sound of Science. Pour rappel, c’est dans la même section que s’était produite l’affaire Oualhaci, pas plus tard que l’année dernière.
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De quoi l’islamogauchisme est-il le nom ?


Un mot-valise ne résume pas tout
La récente polémique lancée par Jean-Marie Blanquer est interprétée comme une attaque contre la liberté académique. Analyse.

Bis repetita. Tout commence par une interview de Jean-Michel Blanquer au Journal du dimanche sur le thème « l’islamogauchisme fait des ravages à l’université ». Une sortie réfléchie puisqu’il la réitère au Sénat ou à Europe1. Le ministre de l’Education nationale sort ainsi clairement de son périmètre et empiète sur celui de Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur.

Réactions en chaîne. Les réactions au sein de l’ESR ne se font pas attendre, la conférence des présidents d’université (CPU) insiste en particulier sur le fait que « la recherche n’est pas responsable des maux de la société ». Après un temps, Frédérique Vidal choisit la réponse (mesurée mais ferme) par tribune interposée en assumant que « l’extrémisme est étranger [à la recherche] par essence ». Elle ne disait pas autre chose déjà en 2018.

De quoi parle-t-on ? C’est là où ça se complique — voici déjà une définition simple de l’islamogauchisme et une beaucoup plus complète —, un terme à prendre avec des pincettes d’un kilomètre. Au-delà des cibles politiques de Jean-Michel Blanquer (le syndicat étudiant Unef ou la France Insoumise), des chercheurs se sentent visés par les propos de M. Blanquer. Pourquoi ?

Marqueurs idéologiques. Car ce sont également des domaines de recherche qui seraient visés : l’intersectionnalité (voilà un exemple de publication qui vient de paraître) est notamment en ligne de mire… et la liberté académique en jeu. Hasard du calendrier, les ministres européens de la Recherche viennent de signer à Bonn une déclaration sur la liberté des scientifiques.
Mais qui sont-ils ? 

Le ministre de l’Education nationale ne cite personne mais sous-entend que certains domaines de recherche en sciences humaines et sociales contribueraient à créer un terreau propice à l’extrémisme. Dans une série de tweets, le chercheur Baptiste Coulmont témoigne de l’intérieur de ce qui devrait être un nid d’islamogauchistes (mais ne l’est apparemment pas) : le département de sociologie de l’Université Paris 8.

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Un métro nommé désir


Un vieux projet qui vient pourtant de naître
La ligne de métro 18 « spéciale chercheurs » du plateau de Saclay divise. Enquête au moment où les premiers coups de pelle sont donnés.

La seule solution. A l’heure où des hordes de chercheurs continuent à débarquer sur le plateau de Saclay, tout le monde réclame de nouveaux moyens de transports (Sylvie Retailleau la première dans notre interview à relire). La solution ? Une ligne de métro, la 18ème du nom (oui, il y en a bien 17 autres), dont les premiers coups de pelles devaient être donnés cette semaine… mais les travaux sont bloqués par des militants écologistes.

Pas au courant. « Chercheurs, enseignants et étudiants sont très mal informés », affirme Fabienne Mérola qui travaille sur le campus. Pour la chimiste, cette ligne ne remplirait pas leurs besoins. Pourquoi ? « Elle reliera quelques sites du plateau au RER B (à Massy) mais des bus en site propre le font déjà – voire mieux grâce au cabotage [qu’est-ce que le cabotage, NDLR]. » Mais surtout, les conséquences environnementales pourraient être très néfastes.

Un bilan (trop) positif. Quel bilan carbone pour la nouvelle ligne de métro ? Aucune étude n’a été publiée, peut-être parce que son empreinte carbone ne sera semble-t-il jamais compensée. Déjà en 2011, Carbone4 préconisait de renforcer les lignes existantes plutôt que de creuser de nouveaux tunnels. Puis il y a deux ans, Pascal Auzannet s’interrogeait : « fallait-il pour autant un métro lourd, comme sur les autres lignes, avec le risque de surcapacités ? »

Terres à manger. C’est le nerf de la guerre depuis le début du projet. Sur le plateau de Saclay, les terres de qualité se prêtent à l’agriculture. En 2010, des zones ont été sanctuarisées (dont une grande partie des terres agricoles). Mais il semble inéluctable pour beaucoup que l’apparition du métro – à capacité surestimée – engendrera une augmentation des flux, des développements urbains et donc un grignotage supplémentaire des terres.

Agriculteurs désabusés. La famille Vandame cultive le blé sur le plateau : Emmanuel dénonce le découpage de leurs parcelles par le futur métro. Sa femme, Cristiana comprend la nécessité d’urbaniser une partie du plateau pour la recherche mais se désole du désintérêt qu’on porte à leurs messages : « Nous avons utilisé tous les moyens démocratiques – concertations, enquêtes… –  mais nous n’avons jamais été entendus. » Ils accueillent des militants écologistes sur leur terrain.

Obsolescence programmée. « Si c’est pour avoir quelque chose de plus confortable, de plus prestigieux… en avons-nous réellement besoin ? », questionne Fabienne Mérola. Dans le contexte de crise environnementale et sanitaire, à l’heure où l’on aime à (re)parler d’autosuffisance alimentaire et de productions locales, ce projet pharaonique peut sembler venir d’un autre temps.
Paris-Saclay en quelques chiffres

2010 : création de l’établissement public (EPPS puis EPAPS) en charge du développement du pôle scientifique et technique, directement sous la tutelle de l’Etat.
2026 : première section de la ligne 18 en fonctionnement, la totalité en 2030.
Un budget total de 6 milliards d’euros, estimait la Cour des comptes en 2017 (dénonçant au passage le manque de transparence).
15% de la recherche publique y est concentrée (à terme 20 ou 25%).
27 communes concernées.
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Cyril Girardin : « Onze ans à programmer ce déménagement »

Ingénieur de recherche à l’Inrae et engagé (CGT, AMAP… ) Cyril Girardin doit déménager sur le plateau de Saclay – 40 km plus loin – d’ici 2022. Cette perspective ne l’enchante pas.

Quelles sont les conséquence du déménagement pour vous ? 

C’est une catastrophe au niveau humain : plus d’un quart des effectifs ne pourront pas suivre – pour des raisons familiales ou financières car l’immobilier est très cher autour de Saclay. C’est aussi un énorme coût pour nos recherches qui sont en pause – nous n’avons pas pris de nouveaux étudiants en thèse. Enfin, certains équipements – comme nos chambres de culture – ne seront pas déménagés et c’est à nous d’en financer de nouvelles.

Que vous inspire le pôle scientifique de Saclay ? 

Depuis la première réunion en 2011, j’aurai passé onze ans à programmer ce déménagement, alors que nos bâtiments datant de 2002 et 2009 sont très bien. Pour énormément de scientifiques dont le prix Abel Yves Meyer, concentrer les recherches sur le plateau de Saclay n’a pas de sens. Je ne crois pas à l’effet machine à café sur un campus de sept kilomètres de long… C’est une débauche de moyens qui auraient pu être mis dans la recherche.

Pourtant, vous collaborez avec des chercheurs du plateau, non ?

Oui et nous n’avons pas attendu d’y être. Depuis 2012, le LabEx BASC regroupe 14 laboratoires – de l’agronomie aux sciences sociales – pour développer des axes de recherche comme l’agro-écologie. Via l’association Terre&Cité, nous échangeons également avec des agriculteurs. Un exemple est l’étude d’alternative aux engrais minéraux pour l’apport d’azote, notamment par les déchets organiques qui sont par ailleurs un problème. Le territoire de Saclay est un site d’étude privilégié.

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L’hydrogène prend son envol


Un avion zéro émission, on n’y est pas
Tous les indicateurs sont au vert pour l’hydrogène mais les chercheurs ont de nombreux défis à relever.

Renaissance… médiatique. Ces derniers mois ont été chargés en actu pour la filière hydrogène : un plan ad hoc de la Commission européenne, tout un chapitre dans FranceRelance avec 7 milliards d’euros dans le plan français jusqu’en 2030. Mais la recherche n’a jamais cessé.

Compétition internationale. L’Hexagone essaie donc de tenir la course mondiale — la Corée, l’Espagne ou l’Allemagne viennent de publier leur feuille de route. Les réticences à utiliser à fond cette technologie existent pourtant encore dans notre pays, analyse Olivier Joubert, un des meilleurs spécialistes français du sujet.

Les forces en présence. En France, l’effort de recherche est porté par les structures suivantes, à la fois publiques et privées : le CNRS (28 laboratoires et 270 personnes) et le CEA d’un côté (le Liten à Grenoble en tête ainsi que Saclay ), les grands acteurs du privé de l’autre (Air liquide, EDF et Engie ainsi que Michelin, Faurecia, Airbus ou Renault).

Crédits fondamentaux. Sur les 7 milliards annoncés par le gouvernement, 65 millions devraient être affectés à la recherche fondamentale par le bais d’appels à projet de l’ANR. Une « très bonne nouvelle» pour Olivier Joubert qui précise que tout se jouera sur le calendrier de ce financement : deux ans comme cela est pressenti, trois ans… ou plus ?

Naissance d’une filière. L’Ademe a elle d’ores et déjà dégainé son appel à projets pour le financement de démonstrateurs (275 millions d’ici à 2023). Comme le faisait remarquer l’Académie des technologies en juin dernier : « Je crois que l’eau sera un jour employée comme combustible ». Cette phrase est signée Jules Verne et date de 1874. Bienvenue dans le futur.
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Erwan Pannier : « Il faut décarboner les usages existants »

De l’H2 oui mais de l’H2 vert. Le jeune chercheur Erwan Pannier, fondateur de Spark Cleantech, veut transformer l’hydrogène en hydrogène vert.

Quel est le principe de Spark Cleantech en deux mots ?

Produire de l’hydrogène à partir de biogaz issus des déchets grâce à une technologie de plasma froid – de la foudre en boîte ! Développée pendant ma thèse, cette technologie permet de casser les molécules de CO2 sans les chauffer. Au sein de Spark Cleantech, nous utilisons ces plasmas froids pour en extraire l’hydrogène à partir de mélange CO2 – CH4 [du méthane, NDLR], avec trois fois moins d’électricité qu’un électrolyseur. Aujourd’hui, notre objectif est de déployer un démonstrateur de la taille d’une station-service à horizon 2023.

Quel regard portez-vous sur l’engouement actuel pour l’hydrogène ?


Les vrais enjeux de l’hydrogène vert sont de décarboner les usages existants. Même s’il y a un vrai potentiel sur la mobilité. En effet, l’hydrogène est utilisé partout – production d’engrais azotés, nettoyage du soufre de nos carburants, en chimie, etc – et aujourd’hui, l’immense majorité provient du gaz fossile et du charbon. C’est pourquoi nous voulons permettre la production de l’hydrogène localement, sur site, pour les petits usages industriels… et alimenter quelques flottes de bus et camions au passage !
 
Est-ce facile de trouver des investisseurs qui partagent votre vision ?


Cela prend du temps. Prendre des risques et les gérer fait partie du métier. Il faut convaincre les investisseurs sur la technologie mais aussi qu’ils aient envie d’investir sur un impact sociétal, environnemental… Avoir une vision à plus long terme – développer des technologies qui aient du sens dans notre cas – peut cependant les rassurer.