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Tempête sous des crânes


Comment mesurer la (dé)pression des doctorants ?
Une phrase lancée, puis reprise et commentée à l’infini, rouvre les plaies des doctorants en souffrance.

Tout a commencé par une petite phrase. « Un doctorant qui ne déprime pas, ce n’est pas un bon doctorant », ont entendu des étudiants de l’ENS Cachan à une réunion d’information le 5 octobre dernier. Paradoxe : le matin même, ils étaient conviés à répondre à une enquête sur les risques psychosociaux. Les réactions parmi ces potentiels doctorants ne se font pas attendre ; c’est l’emballement sur Twitter.

Le moment opportun. Un collectif étudiant dénonce dans la foulée les propos et l’absence de réaction des autres intervenants auprès du CHSCT. « L’idée n’est pas de viser des personnes mais des pratiques », affirme un de ses représentants. Il y a deux ans, des propos similaires avaient été rapportés, tenus par la même personne, à la tête de la commission attribuant les bourses doctorales. Le mandat de cette commission se terminant fin 2020, aujourd’hui, les langues se délient. 

Les ED enquêtent. Pour Sylvie Pommier, directrice du collège doctoral de Paris-Saclay « les propos sont peut-être maladroits, mais les doctorants sont plutôt bien lotis à Paris-Saclay ». Une enquête réalisée en 2019 révèle, en effet, que seulement 8% des doctorants ne sont pas satisfaits de leur accompagnement, le facteur prépondérant étant le manque de financement pendant la thèse.

Derrière les mots. Découragement, perte de confiance, blues passager, dépression… Tout le monde ne semble pas interpréter de la même façon le mot « déprimer ». Alors que les étudiants pensent tout de suite à des troubles psychosociaux, les encadrants relativisent en associant doute scientifique et perte de confiance en soi. Et donc, la déprime comme une normalité ?

Un problème de génération ? « La nouvelle génération voit bien que la souffrance est souvent la norme mais refuse de plus en plus de l’accepter », analyse Adèle Combes (à réécouter dans Rendez-vous avec Matilda). Cette docteure en neuroscience a mené une grande enquête intitulée Doctorat et qualité de vie auprès de 1 900 doctorants et docteurs. Les résultats sont édifiants : 33% ont vécu une dépression ou un burn-out durant leur doctorat.

La loi du silence. Comment expliquer une telle différence de chiffre ? Pour Adèle Combes, « parler de sa souffrance est bien souvent difficile pour les doctorants ». Et les raisons sont la plupart du temps liées à la réputation : pression de l’encadrant – on lave son linge en famille – ou autocensure pour ne pas apparaître faible devant des chercheurs qui jugeront potentiellement sa future candidature. Ne reste plus qu’à délier ce cercle vicieux.
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Et pour finir

Colin Lemée : « Les doctorants sont plus enclins à développer des troubles mentaux »

Président de l’association Doctopus – un mini observatoire de la vie doctorale tenu par des doctorants et docteurs en psychologie – Colin Lemée nous éclaire sur les troubles mentaux chez les doctorants.

«
Un doctorant qui ne déprime pas, ce n’est pas un bon doctorant », ont entendu des étudiants de l’ENS Cachan lors d’une réunion d’information le 5 octobre dernier. Que doit-on comprendre du terme “déprimer” ? 

À l’université comme dans la recherche, tous les personnels font face à de très hauts niveaux de stress, et ça en permanence. Il est alors difficile de faire la différence entre un coup de déprime et un vrai trouble comme de la dépression. Qu’on soit doctorant, chercheur permanent ou temporaire, chacun peut être dépassé et connaître des périodes plus difficiles que les autres, par exemple liées à la rentrée étudiante ou à la soutenance. Pourtant, il y a des cas où cela devient une véritable souffrance qui s’installe sur le long terme.

Les doctorants sont-ils plus à risque ? 

À l’international, il a été montré que les doctorants sont plus enclins à développer des troubles mentaux par rapport à l’ensemble de la population, mais également par rapport aux employés hautement qualifiés. Pourquoi ? Jusque-là, la plupart étaient des étudiants brillants et c’est la première fois qu’ils sont mis en difficulté avec des objectifs qui ne sont pas forcément clairs. Si l’on ajoute d’autres difficultés comme l’insécurité financière ou un manque de soutien social, on comprend qu’ils peuvent être rapidement dépassés et que des troubles plus inquiétants peuvent s’installer.

Quelles actions prône Doctopus ?

Dans les faits, les services de santé sont mal connus des doctorants qui ne savent pas vers qui se tourner. Ils se demandent souvent s’ils doivent se tourner vers les services de médecine pour les étudiants ou ceux pour les salariés. Nous montons donc des actions de sensibilisation et d’accompagnement afin d’aider les doctorants à identifier des signaux et à se diriger vers des services ou des ressources adéquats pour éviter qu’ils ne développent des problèmes de santé mentale.

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Calculer l’empreinte carbone de votre labo avec GES1point5

Depuis quelques mois, l’outil GES1point5 est enfin disponible ! Totalement en ligne, il permet de calculer les émissions de gaz à effet de serre (GES) liées aux bâtiments et aux déplacements à l’échelle d’un laboratoire.

Qui peut le faire ? 
Toute personne habilitée par le directeur du labo. Récolter les données demande un peu de travail (qui peut être facilité par les équipes administratives) mais remplir le formulaire en ligne est rapide, selon le collectif Labos1point5 (à relire : l’interview de la co-fondatrice Tamara Ben-Ari).

Verdir la recherche. 
A court terme, l’objectif de Labos1point5 est de disposer d’un jeu de données conséquent pour analyser les émissions de la recherche française. A plus long terme, le collectif souhaite engager des réflexions pour réduire cette empreinte carbone. Le laboratoire LOCEAN, en avance de deux ans, montre l’exemple en votant tout juste un programme de réduction.
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Des primes, des primes


Dans le respect du protocole (sanitaire)
L’accord sur les revalorisations passe de justesse mais passe quand même.

Majorité qualifiée. Après des semaines et de nombreux aller-retours, l’accord de revalorisation des rémunérations et des carrières a été signé le 12 octobre dernier par trois syndicats côtés fonctionnaires : le SNPTES, le SGEN-CFDT et l’UNSA (cliquez pour leurs réactions respectives). Ils y reconnaissent quelques avancées significatives.

 << Lire l’accord en intégralité, c’est par ici >> 

Sonnant et trébuchant. La mesure la plus spectaculaire — et donc la plus mise en avant — est l’augmentation très significative de la prime de recherche pour les chercheurs et enseignants-chercheurs, qui passera respectivement de 990 et 1 260 euros par an aujourd’hui à 6400 euros en moyenne en 2027, avec une montée en charge calquée sur les milliards de la LPR égrenés jusqu’en 2030.

Re-py-ra-mi-da-ge. Sous ce terme se cache une autre mesure concernant le nombre de professeurs d’université, qui passeront de 15 200 postes à 18 000. Trois voies pourront être utilisées, comme l’écrivait le ministère le 05 octobre : des recrutements de maîtres de conférence expérimentés, des concours d’établissement ou… les très inflammables chaires de professeur junior (CPJ).
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La folle semaine des Nobel


C’est une Nobel, saurez-vous trouver laquelle ?
Petit bilan de ces quelques jours de folie venue de Stockholm.

Des femmes. Lundi,  zéro. Mardi, une. Mercredi, deux. Jeudi, trois ?… Non, on s’arrête là. Andrea Ghez est la quatrième femme à recevoir le Nobel en physique. Quant à Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna, elles sont sixième et septième sur la liste des lauréates féminines en chimie. Mais pourquoi si peu de femmes sont récompensées ? Réponse du comité : parce que les résultats récompensés datent parfois d’il y a 30 ans. Il faut prendre son mal en patience…  

Une Française. Cocorico ! La prix Nobel de chimie Emmanuelle Charpentier est française. Quelle université va pouvoir grimper dans le classement de Shanghai ? Aucune, car la chercheuse exerce à Berlin. La ministre Frédérique Vidal a beau se féliciter qu’« Emmanuelle Charpentier est un exemple de l’excellence de la formation à la française », cela a vite déchainé les foudres des twittos.

Des moyens. Malgré son début de carrière en France, la chimiste a vite quitté l’Hexagone. En 2016, Emmanuelle Charpentier s’exprimait ainsi suite au prix l’Oréal : « Je ne sais pas si, étant donné le contexte, j’aurais pu mener à bien le projet Crispr-Cas 9 en France. Si j’avais fait une demande de financement, il est probable que l’Agence nationale de la recherche (ANR) n’aurait pas alloué de fonds à mon projet. » 

Des virus. Nous sommes donc bien vite rattrapés par la réalité du monde de la recherche, moins reluisante. En plus, le prix Nobel de médecine récompensant les travaux sur l’hépatite C rappelle la situation sanitaire critique dans laquelle nous sommes actuellement avec la Covid et la pression sur les chercheurs pour y trouver une solution (voir notre interview de Bruno Canard ).
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Interview

Bruno Canard « Derrière un prix Nobel, il y a des jaloux, de l’aigreur »

Suite à la récompense des travaux sur l’hépatite C par le prix Nobel de physiologie/médecine, le virologue Bruno Canard, qui n’a pas la langue dans sa poche, remet les points sur les i.

Suivez-vous habituellement la remise des prix Nobel ? 


Non, ce sont plutôt pour moi des discussions de café. L’attribution des prix permet d’ouvrir de nouvelles discussions, de satisfaire notre curiosité scientifique. Mais ce système de « starification » de la science est une ineptie. Derrière chaque prix Nobel, il y a énormément de polémique, de jaloux, d’aigreur… et surtout un véritable travail d’équipe !

Qu’en est-il du prix de physiologie/médecine de cette année ? 


Le prix récompense trois performances et un travail exceptionnel. Mais d’autres ont été oubliés. Je pense par exemple à Ralf Bartenschlager [prix Lasker en 2016, NDLR] qui a développé la recherche sur les traitements. Et, bien sûr, aux découvreurs des médicaments efficaces actuels. En effet, l’hépatite C a été la première maladie virale à pouvoir être éradiquée grâce à un traitement. C’était une révolution incroyable.

Qu’ont apporté ces découvertes à la virologie actuelle ? 

On pense bien sûr aux recherches d’un traitement pour la Covid et ces résultats sont importants pour ça. Ce sont des défis en échelle : la difficulté supplémentaire majeure – en plus de la mutation rapide du virus – est maintenant que la fenêtre de traitement est seulement de quinze jours et qu’il faudra donc une molécule très efficace.

A quand le prix Nobel pour une solution à la Covid ? 


Sans faire de pronostics, il est sûr que ce sera une grosse découverte et qu’elle sera récompensée. Il sera cependant plus difficile de l’attribuer à une seule personne étant donné le caractère collaboratif des recherches actuelles. Si, auparavant, une découverte pouvait se faire “par hasard” en cherchant dans son coin, ce n’est plus le cas.