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Actualité

Bruxelles a des rêves pour la recherche

La Commission incite à investir beaucoup beaucoup plus pour la recherche mais un euro est un euro.

Est-ce le compte à rebours final ? Ailes de géant.
Passer de 0,86% du PIB consacré à la recherche pour la France à 1,25% serait un changement de paradigme pour les chercheurs. C’est pourtant ce qu’a prôné la Commission européenne le 30 septembre. Un investissement annuel supplémentaire de… 10 milliards d’euros par an d’ici à 2030. Soit le double des 5 milliards en plus par an que proposerait (le conditionnel de rigueur) la loi Recherche en 2030.

Horizon bouché. Le paradoxe est le suivant : d’un côté, l’Europe par la voix de la Commission demande aux Etats d’ouvrir les vannes budgétaires, de l’autre, elle les ferme : les chefs d’états européens ont en effet entériné une réduction du programme Horizon Europe de presque 10 milliards d’euros entre 2021 et 2027 en juillet dernier. Quelle Europe doit-on croire au final ?
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Interview

Julien Gossa : « Cette loi est devenue un poids pour le gouvernement »

La loi de programmation continue son parcours législatif au pas de course. Julien Gossa, universitaire à l’initiative de la Conférence des praticiens de l’enseignement supérieur et de la recherche (CPESR), livre son analyse à TMN.

Les chercheurs vont-ils réellement payer les investissements promis dans la LPR avec leurs retraites ? 

Frédérique Vidal n’a rassuré personne avec ses réponses, alors qu’elle aurait pu le faire en réfutant clairement [plus d’infos ici, NDLR]. La loi de programmation n’engage à rien en réalité puisqu’elle sera rediscutée tous les ans dans les lois de financement. Elle a un défaut structurel : elle n’impose pas d’investissements une fois adoptée.

En d’autres termes ? 

Beaucoup de bruit pour rien. C’est pour cette raison que son calendrier législatif a été accéléré, je ne parle même pas d’un déni de démocratie. D’autres lois importantes doivent passer à la suite, comme celle sur la procréation médicalement assistée. Cette loi est devenue un poids pour le gouvernement.

Qu’a-t-il manqué pour en faire une loi structurante ? 

Ce n’est que mon interprétation évidemment mais l’intention de départ était une grande loi — la fusion des corps, la suppression du CNU… — du même niveau que celle de 1984. Là, on finit avec les émérites qui garderont quelques privilèges et la suppression des autorisations de cumul. En réalité, cette loi est vide.
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Actualité

Jouez-la open !


Une séance de travail chez ROpenExo
Breveter et protéger ses travaux n’est pas le seul moyen de les valoriser. Tour d’horizon de l’innovation ouverte.

Start-up, deeptech, entreprenariat… Il existe une alternative : l’innovation ouverte. Basée sur l’open source et vendant plutôt du service, celle-ci s’oppose au modèle des start-up qui demandent un investissement financier important (d’où le recours à des VC ou “venture capitalists”) pour des développements technologiques généralement pointus.

Des valeurs différentes. Au lieu de tout baser sur la propriété intellectuelle et la protection à travers des brevets, l’open innovation surfe sur les principes de l’open science, où la valeur est créée par la diffusion massive et rapide de la connaissance. De plus, le partage avec la communauté ainsi créée permet d’améliorer la qualité en continu.

Pas tout seul. Le choix de l’open permet d’accéder à tout un réseau, par exemple celui des fab labs. Ceci a permis à Madjid Ait Si Amer, titulaire d’un master en informatique et diplômé de la Fabacademy, de compter sur une dizaine de collaborateurs. Leur projet ROpenExo (si vous voulez en savoir plus) a pour objectif de développer un exosquelette à destination de personnes atteintes de la myopathie de Duchenne. Le tout en open source.

Des modèles éco à repenser. À quoi sert de déposer un brevet sans argent pour le défendre ? Madjid a choisi une licence open source plutôt qu’un brevet pour développer son projet : diffuser les plans de son exosquelette accélérera son amélioration grâce aux retours des utilisateurs. Mais il faut trouver son modèle économique : un abonnement payant à ROpenExo permettrait par exemple aux clients de disposer de la dernière version du produit.
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Interview

Inno3 : « Les outils financiers ne sont pas adaptés à l’open »

Naviguant entre open source et open science au sein d’Inno3, Benjamin Jean et Célya Gruson-Daniel défendent une autre vision de l’innovation.

A plusieurs, on est plus open. Quel rapport entretiennent public et privé en terme de valorisation de la recherche ?


BJ On a parfois l’impression que la recherche est aujourd’hui là uniquement pour profiter au privé. Le privé prend ce qui l’intéresse et repart avec, sans que la recherche y gagne.

CGD On assiste à des tensions public-privé, avec une captation des projets se disant « open » mais sans modèle ni gouvernance ouverte sous-jacent – de l’open washing donc. C’est pourquoi il est important de pérenniser les modèles économiques dont les fondements sont ouverts.

Pourquoi les modèles open sont-ils plus naturels pour les chercheurs ?

CGD Le système actuel de l’innovation dégoûte beaucoup de chercheurs qui sont habitués à travailler avec des valeurs de partage et de collaboration.

BJ Le numérique fournit une abondance des connaissances, exactement comme en recherche : on innove à partir de ce qui existe déjà.

Les chercheurs sont-ils orientés par défaut vers le modèle start-up ?

BJ Les outils financiers actuels ne sont malheureusement pas adaptés à l’open, alors que les institutions poussent à l’open. C’est très contradictoire.

CGD Nous sommes à un moment de transition : les modalités de valorisation actuelles ont une grande inertie. Il y aurait un réel besoin de formation et d’acculturation à ces nouveaux modèles, par exemple au sein des SATT.
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Divers

L’histoire d’un électron libre


Christine Fassert avait pour terrain Fukushima
Une chercheuse licenciée pour insubordination ? Analyse et enquête d’un cas récent au sein de l’IRSN.

Une employée désobéissante ? L’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) a licencié en juin dernier une chercheuse pour « insubordination récurrente se manifestant par une défiance vis-à-vis de sa hiérarchie et une contestation chronique des processus internes de l’Institut ». La sociologue Christine Fassert était employée à l’IRSN depuis 2009 et pilotait le projet Shinrai (confiance en japonais) depuis 2014. 

Des recherches radioactives. A l’IRSN ce n’est pas comme au CNRS. La recherche est pilotée par les besoins de l’expertise, une recherche dite finalisée ou opérationnelle (voir l’encadré ). Les sciences humaines sont en minorité parmi les 400 chercheurs de l’institut. Christine Fassert mène ses études de terrain sur la confiance accordée aux experts par la population touchée par l’accident de Fukushima, le tout en partenariat avec Sciences-Po Paris et l’Institut technologique de Tokyo.

Beaucoup de temps perdu. Le processus est long avant même de démarrer ses travaux et, comme pour tous les chercheurs de l’IRSN, ses articles et rapports sont relus par sa hiérarchie avant publication. Note d’opportunité puis note de cadrage doivent être validées à tous les étages et reviennent avec de nombreux commentaires, relues par une hiérarchie qui ne compte pas d’autre sociologue qu’elle – on est loin de l’évaluation par les pairs. Entre l’accident de Fukushima en 2011 et le début des recherches en 2014, il aura fallu trois ans.

Relecture obligatoire. Pour Patrice Bueso, directeur de la stratégie recherche de l’IRSN, cette phase de relecture est uniquement un « lissage institutionnel afin de recontextualiser les résultats scientifiques ». De son côté, Christine Fassert nous assure avoir été d’accord pour retirer ou reformuler des passages mais il lui est difficile de faire comprendre ce processus d’écriture à ses collègues de l’académie. « Pour mon collaborateur japonais, c’était inimaginable », nous confie-t-elle.

Articles “non-finalisés”. Lorsque des pans entiers sont supprimés – avec comme explication « ce n’est pas le message que l’on veut faire passer à l’IRSN » –, la sociologue refuse de soumettre des articles désormais « vidés de leur sens ». Ce sera le cas pour deux papiers, nous dit-elle. Patrick Bueso l’affirme, « il n’y a quasiment aucune publication finalisée refusée à l’IRSN. Christine Fassert avait reconnu à l’époque qu’elles ne pouvaient pas sortir comme ça. »

Communication breakdown. En regard, la chercheuse déplore le manque de clarté sur le poste qu’elle a accepté il y a onze ans : « Si les chercheurs ne sont pas libres, l’IRSN doit le dire publiquement et l’assumer ». Patrice Bueso s’oppose à ce constat : « Il n’y a pas de “message” à faire passer à l’IRSN. Nous publions parfois des résultats qui ne correspondent pas à ce que le gouvernement veut entendre. »

La suite au prochain épisode. Christine Fassert a déposé une requête aux Prud’hommes, l’instruction devrait avoir lieu d’ici la fin de l’année.
Pas logés à la même enseigne

Dans le droit français, il n’existe pas de liberté scientifique à proprement parler, mais une liberté académique qui s’exerce uniquement pour les chercheurs et enseignants-chercheurs dans le public, explique Charles Fortier. Les chercheurs des Epic —
établissement public à caractère industriel et commercial, dont font partie le CEA, l’IRSN et bien d’autres — « sont recrutés au service d’une démarche industrielle ciblée (…) et non pas spécifiquement pour contribuer au développement des connaissances. »
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Interview

Sylvain Laurens : « La vulgarisation est investie par les lobbys »

Co-auteur des Gardiens de la raison avec deux journalistes du Monde, Sylvain Laurens dénonce les nouveaux mécanismes de la désinformation scientifique.

On reconnaît un bon sociologue à sa bibliothèque. Est-ce en tant que chercheur que vous avez participé à ce livre ?

C’est avant tout une enquête journalistique, pas un ouvrage académique destiné à être présenté dans des séminaires. Il s’agit plutôt d’un cri, d’une prise de position, qui aurait pu prendre la forme d’un essai, sauf qu’on voulait être plus factuel et poser des éléments empiriques. Nous avons mené de nombreux entretiens et nous nous appuyons sur des preuves. Et c’est aussi en tant que chercheur voyant son propre univers professionnel détourné de sa finalité que je cosigne le livre.

Pourquoi les chercheurs doivent-ils s’emparer du sujet ? 

Les chercheurs en poste se sont éloignés des activités de vulgarisation, alors que cet espace de la médiation peut donner des prises aux industriels. De plus, la diminution du nombre de postes incitent de nombreux jeunes scientifiques à se lancer dans la médiation afin de garder un lien avec la science, sans avoir toutes les clés : ce milieu fait l’objet d’investissements par des lobbyistes.

Quel est le problème avec la communauté de jeunes vulgarisateurs que vous dénoncez ? 

On ne dénonce pas une communauté. Lorsqu’on est vulgarisateur, on ne parle pas seulement de son domaine de compétence et il arrive que certains reprennent des arguments sans vérifier d’où ils viennent. Mais l’immense majorité est de bonne foi. Le livre montre notamment le rôle joué par les agences dites de micro-influence qui se donnent pour tâche de repérer les chaînes Youtube les plus pertinentes pour leurs clients et les nourrir en contenu.