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Interview

François Graner : « J’ai voulu comprendre ce génocide »

Physicien le jour, historien la nuit, François Graner se penche depuis 25 ans sur le rôle de la France dans le génocide des Tutsis au Rwanda. Il vient d’obtenir l’accès aux Archives nationales, ce qui lui a permis de conforter certaines informations sur le rôle de l’Etat français dans le génocide des Tutsis et d’amener quelques révélations.

Chercheur au CNRS… mais en physique ! Pourquoi vous-êtes vous lancé dans ce travail d’historien ?

Le génocide des Tutsis en 1994 a été pour moi un énorme choc. Tout d’abord parce que j’avais grandi avec les slogans « Plus jamais ça » en réaction face à la Shoah, ensuite lorsqu’on a compris que la France y avait joué un rôle. A l’époque, dans les médias, c’était la confusion totale, on lisait des thèses complètement opposées sur ce sujet, un des plus importants de ce siècle. J’ai donc voulu comprendre.

Ce qui vous a amené à publier deux livres…

Fin 2010, j’ai voulu diffuser les informations que j’avais lues. Mon objectif était de produire un ouvrage clair, concis et convaincant. En tant que chercheur en physique, j’avais l’habitude de vulgariser au grand public. Pour la clarté et la concision, je savais donc déjà faire. Mais pour être convaincant, j’ai mis au point une méthode : n’utiliser que des sources militaires publiques vérifiables – car les civils étaient souvent accusés d’être militants et leur parole était décrédibilisée.

Qu’est-ce que ça vous a apporté ?

Sorti en 2014, mon premier livre a fait l’objet d’une recension dans Cahiers d’histoire. J’ai alors pu être considéré comme un historien non professionnel – ce qui n’est pas si rare dans le milieu. Cela qui m’a ouvert les portes pour interviewer des militaires haut gradés, comme le chef des armées de l’époque. J’ai également donné des dizaines de conférences ; à chaque fois que je me déplaçais en tant que physicien, j’essayais d’en programmer une le soir. Et cette année, une intervention au sein du séminaire des historiens Stéphane Audoin-Rouzeau et Hélène Dumas à l’EHESS est prévue.

Et pourquoi ne pas devenir historien à plein temps ?

Il y aurait de quoi : mes premiers travaux ont été féconds et ont suscité de nouvelles questions, c’est pourquoi je continue ! Cependant, cette activité reste cantonnée hors de mon temps de travail et je n’ai pas le temps de passer un master en histoire. Le CNRS ne m’a pas embauché comme historien, comme je le rappelle souvent aux médias. Enfin, être directeur de recherche en physique me plaît toujours.
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Passez au vert avec MonPetitCarbone

Le petit frère est arrivé.
Mesurez l’empreinte carbone de vos missions grâce à MonPetitCarbone, le nouveau calculateur élaboré par Joël Thanwerdas, doctorant au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement (LSCE), avec le soutien de Labos1point5. Il s’agit d’un outil individuel, complémentaire de GES1point5 à l’échelle des labos (on vous le présentait en septembre). MonPetitCarbone permet de remonter jusqu’à 2015 et de comparer vos émissions par année et moyen de transport !
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Des ciseaux à utiliser avec précaution


Doigts de zinc ou mains d’argent ?
Pourquoi un cadre éthique à l’utilisation de CrisprCas9 est indispensable.

Interrogations congénitales. La codécouvreuse de CrisprCas9, Jennifer Doudna (voir encadré), s’est posée très tôt, dès 2015, la question des limites qu’il fallait poser à son utilisation, notamment l’édition de génomes humains. Quelques mois après, une étude chinoise controversée publiait de premiers résultats sur des embryons humains, appelés Lulu et Nana.

Eugénisme soft. Le chercheur He Jiankui a été condamné à trois ans de prison pour cette expérimentation hors cadre, dont sont nés deux enfants supposément résistants au VIH et qui seraient aujourd’hui âgées de 3 ans. De plus, Lulu et Nana pourraient éventuellement transmettre cette caractéristique à leur descendance.

Crispr babies. En attendant d’avoir plus de recul, la communauté scientifique appuie des deux pieds sur le frein, comme préconisé par un panel international en septembre dernier. L’Organisation mondiale de la santé travaille également depuis 2019 à un registre des travaux sur les embryons humains. Le futur, c’est aujourd’hui. 

La liste des applications de Crispr-Cas9 est potentiellement infinie  ; la technologie est utilisée dans près de 3000 laboratoires dans le monde à des fins diverses (comme étudier le cerveau de Néanderthal) mais surtout par une myriade de startup en medtech ou en biotech, ce qui laisse espérer le meilleur pour les années à venir.
Avec Crispr-Cas9, le temps s’accélère

Pour éditer un gène (ajouter ou enlever des séquences), les chercheurs ont désormais trois solutions : les nucléases à doigt de zinc, Talen… et Crispr-Cas9 depuis une demi-douzaine d’années. Si vous voulez briller, sachez que Crispr signifie Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats. Chacune a des inconvénients mais Crispr-Cas9 a deux avantages certains  : sa facilité d’utilisation et sa rapidité : de 10 à 100 fois plus véloce que ses prédécesseurs. Son travail de coupe connaît néanmoins des ratés, comme le pointaient des chercheurs dès 2018.
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Actualité

Les trois frenchies derrière Crispr


Chauvinisme express
L’histoire de Crispr-Cas9 est un long roman qui passe par l’Hexagone.

Travail d’équipe. Si l’histoire populaire ne retiendra qu’Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna pour la découverte de CrisprCas9 avec ce papier fondateur, elles n’ont pas cheminé seules. Outre les travaux pionniers d’Atsuo Nakata sur le sujet (voir encadré ), Rodolphe Barrangou et Philippe Horvath, co récipiendaires en 2016 du prix Gairdner (le « bébé Nobel »), ont également joué un rôle de premier plan dans cette découverte.

Agroalimentaire… Ces deux autres frenchies ont des profils moins « académiques » que leurs consœurs : Philippe Horvath a rapidement rejoint le groupe agroalimentaire Rhodia (racheté par le danois Danisco en 2004) après sa thèse en 2000 pour travailler sur les ferments lactiques. Idem pour son cadet de cinq ans Rodolphe Barrangou débauché lui par Danisco en 2005… avant que Danisco soit absorbé par le géant DuPont en 2011 et par IFF il y a quelques jours.

…mon cher Watson. Mais pourquoi se sont-ils intéressés à Crispr ? Initialement pour fabriquer des yaourts. Les ferments à l’origine de nos produits laitiers utilisent en effet CrisprCas9 pour se défendre contre leur prédateur naturel, des virus appelés bactériophages. Danisco s’empresse à partir de 2005 de déposer une volée de brevets autour de CrisprCas9 avant que les deux frenchies, pourtant chercheurs dans le privé, ne publient leur découverte dans Science. La consécration. Et le début d’une longue histoire. 

The rest is history   La communauté Crispr — qui se réunit tous les ans lors d’un CrisprCon — devient subitement beaucoup plus nombreuse et affine ce procédé aux applications vertigineuses (voir plus bas). En 2018, pas moins de 1 300 publications mentionnaient Crispr.
Trombinoscope (non exhaustif) de Crispr 

Emmanuelle Charpentier  Chercheuse à la carrière internationale et au franc parler certain, elle simplifie CrisprCas9 avec Jennifer Doudna pour en faire un outil d’édition génétique. Nobel, bien sûr. 

Jennifer Doudna La corécipiendaire du Nobel Crispr, chercheuse à Berkeley, elle s’est très tôt inquiétée des applications de CrisprCas9 et l’a narré dans ce récit à la première personne.

 Philippe Horvath Après un doctorat à Strabourg, ce chercheur a fait toute sa carrière dans le privé et a déposé 62 brevets liés à la technologie Crispr qu’il a contribué à faire émerger.

Rodolphe Barrangou Collaborateur de Philippe Horvath chez Danisco, il est maintenant professeur à l’universersité de Caroline du Nord et rédacteur en chef du Crispr Journal depuis sa création. 

Atsuo Nakata Ce pionnier de Crispr a publié en 1987 un papier fondateur sur ces obscures séquences génétiques qui, 30 ans plus tard, sont en train de révolutionner la biologie. 
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Interview

Ana-Maria Lennon-Duménil : « Se plaindre, ça ne marche pas »

Comment parler de son métier dans les grands médias ?
Invitée de l’émission Quotidien avec son collègue Raphaël Rodriguez, Ana-Maria Lennon-Duménil débriefe pour TMN ce passage télé.

Avec quel état d’esprit êtes-vous arrivés sur le plateau télé ?

Notre temps d’intervention était très court – 12 min dont les questions à propos du vaccin. Nous voulions donner une vision positive de notre métier plutôt que nous plaindre car cela fait des années que la communauté se plaint – à juste titre – et cela ne marche pas. Nous avons pensé qu’il fallait une stratégie plus créative pour convaincre la société de l’utilité de la recherche. Aux Etats-Unis – où j’ai vécu – les métiers de la recherche sont beaucoup plus valorisés et cela donne de véritables leviers pour assurer son financement et les conditions de travail des chercheurs.

Qu’est-ce que vous n’avez pas eu le temps de dire ?


Le drame de la France, c’est d’avoir un pool de chercheurs en biologie – jeunes et moins jeunes, avec ou sans postes fixes – brillants mais sans moyens suffisants pour bien travailler. Ils passent donc leur vie à écrire des demandes de financement qui, pour la plupart, impliquent des sommes d’argent trop faibles et sont de durée trop courte. Il nous faut des financements plus longs et plus conséquents, de l’ordre d’un million d’euros sur cinq ans par équipe, plutôt que 2 ou 300 000 euros sur deux ans actuellement. De tels financements existent en Angleterre, en Allemagne, en Suisse, en Hollande ou en Italie…

Quel serait le système de financement idéal selon vous ?


Ces financements seraient bien sûr attribués aux labos sur la base de leur production scientifique et permettraient de faire de la recherche de qualité tout en assurant de meilleures conditions de travail aux plus jeunes. Idéalement, ils comprendraient à la fois des fonds non ciblés en termes de thématique, ce qui permettrait de lancer des projets nouveaux et éventuellement risqués, ainsi que des fonds obtenus sur la base d’appels à projets thématiques.

Quels retours avez-vous eu de votre intervention ?


J’ai reçu de nombreux messages de personnes disant que je leur avais donné envie de découvrir le métier de chercheur. Les non scientifiques m’ont trouvée très revendicative – le grand public connaît peu les problématiques de la recherche – mais nos collègues chercheurs en sciences de la vie ont approuvé notre discours. Sur Twitter, certains ont critiqué le fait qu’on n’ait pas parlé du manque de poste. Ce manque est réel, en recherche comme dans tous les services publics, mais ce n’était pas le propos. Le problème des chercheurs en poste sans moyens pour travailler est tout aussi grave – à la fois pour eux et pour l’argent public.

Et vous avez voulu terminer par une note positive.


Encore une fois, on n’obtiendra rien si on ne fait que demander et revendiquer car c’est un discours qui s’est banalisé et que la société ne veut ou ne peut plus entendre. Certes, devenir chercheur est un parcours du combattant mais c’est un parcours au long duquel on s’élève et on apprend beaucoup, même si c’est dur. Je m’estime infiniment chanceuse d’exercer un métier aussi enrichissant. Je pense que nos sociétés se porteraient bien mieux si chacun pouvait vivre d’une activité qui le passionne. Pour moi, c’est vers cela qu’on devrait tendre !
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Preprint préconnectés avec arXiv

Retrouver en un clin d’œil tous les articles reliés à une publication, c’est l’objectif de Connected Papers. Grâce au DOI ou juste au titre d’une publication, cet outil affiche à la fois ses références mais aussi les articles qui la citent. La nouveauté ? La plateforme de preprint arXiv le propose comme un module complémentaire en bas de chaque page.
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Reviewer mérite-t-il salaire ?


Qui veut bien “reviewer” contre rémunération ?
Relire le papier d’un confrère est un honneur… mais c’est aussi du travail. 

En pleine croissance. Relire des papiers, ça prend du temps. Si c’est bien entendu un devoir envers la communauté, certains finissent par le voir comme un fardeau. L’augmentation du nombre de publications – qui double tous les 17 ans – n’arrange rien à l’affaire.

Le temps, c’est de l’argent. Le Research Information Network britannique a valorisé en 2008 le peer-review à 2,3 milliards d’euros mondialement – en comptant un jour de travail par relecture. Le bénévolat est-il encore défendable étant donné les profits générés par les géants de l’édition scientifique ? Reste une question : en pratique, combien et comment le peer-review pourrait-il être rémunéré ? 

Du cash aux chercheurs  450$ par article, prône le mouvement du même nom apparu en septembre 2020, alors que l’ancien éditeur de BMJ Richard Smith réclame lui jusqu’à plus de 1 000 livres. Tous deux se basent sur les tarifs d’un travail de consultant.

 Redistribuer aux institutions   Et si les géants de l’édition (Wiley, Springer et consorts) reversaient 1% de leurs revenus ? 50 millions de dollars pourraient être reversés tous les ans aux institutions de recherche et bénéficier aux chercheurs. 

D’autres idées  Certaines revues proposent des réductions sur les frais de publication pour les reviewers qui soumettraient leur propre papier. D’autres préfèrent constituer un pot commun afin d’aider les chercheurs en difficulté.
Reviewer, ça eut payé

 Il fut un temps où le British Medical Journal payait ses reviewers, se rappelle Richard Smith, son ancien éditeur. Plus récemment, la revue Collabra:Psychology a tenté l’expérience : dès sa création, l’objectif était de « partager les revenus avec les reviewers », nous explique Dan Morgan, ancien éditeur au sein de la maison d’édition UC Press. La compensation financière était modeste : entre 40 et 70 dollars par article. Les reviewers pouvaient également choisir de donner cette somme à un fond d’aide aux auteurs afin de payer les frais de publication ; c’est d’ailleurs ce qu’ils faisaient en majorité, à tel point que la revue redirige maintenant automatiquement vers ce fond.