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Comment le microbiote a fait florès

Commençons par une image, pour changer. Voici une carte des microbiotes du corps humain, répartis sur tout notre corps. Dans ce numéro, il sera principalement question du microbiote intestinal, le plus étudié. En couleur, les différentes souches de bactéries (détails et source)

Le petit peuple des villosités (vue d’artiste)
Longtemps mésestimé, l’impact du microbiote sur la santé humaine fait aujourd’hui la une. L’aboutissement de dizaines d’années de recherche.

Lumières intestinales. L’influence de la population microbienne de notre corps (en particulier celle de l’intestin) n’est pas une préoccupation récente, puisqu’elle remonte a minima au XIXe siècle. Longtemps purement descriptive, la recherche sur le microbiote a connu une accélération ces dernières années.

Verrous techniques. Jusqu’au tournant des années 2000, la recherche était en effet freinée par la culture très complexe de ces bactéries qui doivent être privées d’oxygène. Mais la révolution ADN est passée par là, comme le précise Nathalie Vergnolle :« La possibilité de séquencer le microbiote a permis de lever les verrous : il était devenu faisable de cartographier sa composition. Cela a poussé les chercheurs à étudier les bactéries espèces par espèces »

 Révolution. Deux projets de séquençage, à la suite de celui du génome humain, marquent ce tournant vers la big data : Le Human Microbiome Project (HMP) dès 2007 aux Etats-Unis, MetaHIT en Europe entre 2008 et 2012, mené par l’Inrae. De purement descriptive, la recherche devient fonctionnelle, s’accélère et se diversifie. 

Organe ubiquitaire. L’évidence s’impose : quand on réimplante un microbiote d’un individu à un autre, certaines pathologies suivent, comme dans cette étude pionnière sur l’obésité chez la souris. Le microbiote serait impliqué dans une liste de de maladie qui donne le vertige : cancer, maladies inflammatoires, allergie, ostéoporose, Alzheimer…

L’air du temps. Les publis se multiplient à vitesse exponentielle dans les années 2010, comme en témoigne un chercheur, connaisseur du secteur :« Le microbiote étant “à la mode”, les scientifiques se sont précipités dessus ; on en revient aujourd’hui. Editeurs et reviewers sont plus prudents et les études qui sortent sont plus solides ».

Ce qui reste à faire. Si de nombreux espoirs sont permis, les thérapies liées au microbiote doivent encore faire leurs preuves. Une seule est aujourd’hui autorisée dans le traitement d’infections intestinales résistantes, d’autres arriveront en adjuvant des traitements de certains cancers ou d’infections à Helicobacter Pylori. Ce n’est que le début, la France étant bien positionnée dans le secteur. 

Pour aller plus loin.  Si vous vous intéressez au sujet, prenez le temps de regarder ce docu de référence. Des actus scientifiques et techniques peuvent aussi être dénichées ici.
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Interview

Stanislas Desjonquères : « Les vraies révolutions sont silencieuses »

Stanislas Desjonquères a fondé Nexbiome, un incubateur privé de candidats médicaments liés au microbiote. Il livre à TMN son analyse le secteur. 

Le microbiote est aujourd’hui populaire mais à quoi est dû ce succès ?

Le succès des thérapies liées au microbiote tient à une poignée de facteurs tous réunis aujourd’hui. La demande des consommateurs, tout d’abord, qui sont en demande de naturalité; notre environnement interne est peuplé de bactéries. Une recherche dynamique, ensuite : celle sur le microbiote l’est, vous pouvez le vérifier sur PubMed. Enfin des financements privés sont aujourd’hui au rendez-vous et des solutions techniques existent, comme le séquençage à haut débit ou la bioinformatique.

En quoi les thérapies liées au microbiote diffèrent des autres médicaments ?

On a, il est vrai, affaire à une nouvelle catégorie de produits, différents de ceux qui les précèdent, comme les vaccins, les antibiotiques ou les génériques, mais ce sont bien des médicaments. Des centaines de pathologies sont concernées, dans quatre domaines en particulier : infectiologie, immunité, système nerveux central et les maladies inflammatoires. Après des années de recherche fondamentale, on se rend compte que le microbiote est à la fois le problème et la solution.

Est-ce une autre manière de guérir ?

Les vraies révolutions sont silencieuses. Contrairement à la grande majorité des médicaments, curatifs, les thérapies basées sur le microbiote apporteront une valeur préventive et j’estime qu’il s’agit d’une nouvelle approche de la médecine. Mais ces thérapies seront tout de même jugées par les autorités sanitaires comme les autres médicaments, au travers de leur efficacité, de leur sécurité et de l’amélioration du service médical rendu. Cela ne changera pas.
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Interview

Mélanie Dulong de Rosnay : « Nous sommes encore dans un système fermé »

Spécialiste des biens communs numériques, la juriste Mélanie Dulong de Rosnay dresse un bilan de l’open access.

Quel est le plus grand bénéfice qu’apporte la science ouverte ?

Tout simplement le fait que tout le monde puisse lire les articles, que ce soit des personnes (société civile, politique, ou chercheur) ou bien des machines (pour faire de la fouille de textes). Contrairement à ce qu’on pourrait croire, tous les chercheurs n’ont pas un accès à toutes les publications scientifiques même dans les pays riches ou les grandes institutions. En tant que chercheuse au CNRS, je n’ai accès qu’à une dizaine de revues françaises de droit mais pas aux bouquets vendus aux universités de droit.

Les chercheurs peuvent-ils agir pour l’open science sans sacrifier leur carrière ?

Nous avons besoin d’en parler plus afin d’identifier les barrières et les leviers possibles. Chaque discipline et chaque personne a ses propres problématiques en fonction de sa carrière et de son avancement. Par exemple, la communauté Polar commons [des chercheurs qui travaillent sur les pôles, NDLR] a développé de longue date des normes pour le partage de leurs données. Avant d’ouvrir leurs données, d’autres souhaitent attendre de les avoir exploitées pour une publication. Certaines communautés ont également pensé à des systèmes où l’utilisation de données par des tiers est conditionnée par l’ajout comme co-auteurs des chercheurs les ayant publiées. Car ouvrir ses données représente un coût : il faut les collecter, les nettoyer, les décrire, les stocker quelque part…

Et pour les publications, où en est-on ?

Plusieurs modèles de journaux [les voies vertes, dorées ou diamant, dont on vous a déjà parlé, NDLR] sont en place pour publier en accès ouvert mais nous sommes encore dans un système fermé et il faudrait changer d’échelle. Au niveau individuel, des solutions existent : choisir de ne publier ou n’évaluer qu’avec des revues ouvertes, partager son livre sur des sites pirate… On observe un soutien politique et institutionnel, notamment à travers la loi pour une République numérique et le dépôt en archive ouverte. Cependant, l’incitation à publier dans des revues à fort impact est toujours présente, malgré la signature de DORA par le CNRS.

[Retrouvez également son article (ou son résumé ) sur l’open access.]

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Outils

Guide d’autodéfense juridique du chercheur

Quoi, quand et quelle version ai-je le droit de mettre en accès ouvert ? 

Nous vous recommandons la lecture de ce guide d’autodéfense juridique du chercheur réalisé par l’université de Limoges.
Spoiler : tant que c’est publié dans une revue périodique, la loi prévaut sur les contrats signés avec les éditeurs. Vous pouvez donc mettre en accès ouvert la version post-print, avec une mise en forme différente de celle de l’éditeur, six mois (ou douze mois pour les SHS) après sa mise en ligne par la revue.
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Interview

Julien Calmand : « Le processus de démotivation est en train de marcher »

Le chercheur Julien Clamand analyse les causes de la (trop) lente mue du doctorat en France. Il est même l’auteur d’une thèse sur le sujet.

En quoi l’Hexagone fait-il figure d’exception pour les docteurs ?

Le doctorat s’est traditionnellement construit en France comme un vivier de recrutement pour les universités, les grandes écoles fournissant les élites du privé et les hauts fonctionnaires. De fait, les docteurs sont très peu reconnus en dehors du secteur public, contrairement aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou en Allemagne, où ils accèdent aux postes les plus élevés. La palette des débouchés s’élargit aujourd’hui sous l’influence de la compétition inter entreprises, qui ont besoin de docteurs car ils sont capables de favoriser l’innovation. Il y a un retournement de situation mais il est lent et progressif : aujourd’hui, même les écoles d’ingénieurs vont vers le doctorat, de plus, l’emploi dans la recherche publique se réduit et se précarise progressivement.

Quels sont les points de blocage ?

Si il y a un acteur qui a moins joué le jeu jusqu’à présent, ce sont les organisations patronales. Les entreprises intègrent des docteurs, financent des Cifre mais les conventions collectives bloquent leur reconnaissance. A tel point que le doctorat n’est reconnu que dans une branche, celle de la chimie. Une explication à cela : la reconnaissance du doctorat amènerait des rémunérations plus élevées que celles des écoles d’ingénieurs ou de commerce. L’Etat a tout de même joué un rôle décisif grâce aux Cifre ou au dispositif Jeunes docteurs ; les derniers chiffres du Cereq montrent d’ailleurs que les embauches augmentent.

L’académie fait-elle toujours autant rêver ?

Le processus de démotivation est en train de marcher : les doctorants veulent toujours intégrer la recherche académique mais dans une moindre proportion : 70% il y a cinq ans, 50% aujourd’hui. Pour beaucoup, se positionner dans la recherche publique est aujourd’hui synonyme de CDD, de post-docs… ça va les décourager. Ils gagnent des postes dans le privé, pas nécessairement dans la recherche d’ailleurs, même si nous manquons de statistiques sur cette population précise.

Tous les docteurs sont-ils égaux face à cette situation ?

Le doctorat fait sa mue sur fond de sélection au financement de la thèse et cette sélection ne se passe pas de la même manière dans toutes les disciplines, forcément. Cette sélection existait déjà depuis longtemps dans les sciences formelles et du vivant. Or en sciences humaines, les possibilités de financement ne sont pas aussi importantes, une inégalité se crée parce qu’il y a moins de partenariat public privé, moins de projets de recherches internationaux et beaucoup moins de postes, sauf en sciences de l’éducation ou sciences économiques.   
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Interview

Patrick Fridenson : « La résistance vient aussi de notre milieu »

Patrick Fridenson a dirigé une mission sur la reconnaissance
professionnelle du doctorat
en 2014
. Ce spécialiste de la question du doctorat fait le bilan de ces dernières années pour TMN.

Parlons d’actualité d’abord : la réforme de l’ENA aura-t-elle un effet positif pour les docteurs ?

Il serait bien évidemment tout à fait souhaitable que les quelques places réservées pour des docteurs à l’ENA soient maintenues dans le cadre du futur Institut du Service Public [si vous avez raté le début, NDLR]. Mais il existe différentes écoles de la fonction publique dont les dirigeants sont encore à convaincre. Le projet de réforme, qui sera précisé d’ici le 6 juin, prévoit une convergence entre l’ENA et son équivalent territorial, l’Institut national des études territoriales, ce qui constituerait une opportunité pour envisager le recrutement de docteurs. Enfin, l’articulation entre la vision très opérationnelle des stages et le tronc commun envisagé entre les treize écoles de l’Institut reste à préciser. On peut souhaiter que sur les deux volets soit tenté un rapprochement avec le monde universitaire.

La reconnaissance professionnelle du doctorat reste-t-elle un gros mot dans l’ESR ?

La résistance ne vient pas seulement des autres milieux ; elle existe aussi dans le nôtre. Une partie des enseignants-chercheurs et des chercheurs vise toujours la reproduction interne – former des docteurs uniquement pour l’enseignement supérieur et la recherche – et ne va pas au-delà d’un discours de lamentation lorsqu’elle n’est pas assurée par l’Etat, d’où la floraison de CDD et de vacataires. Les docteurs ont besoin de voies de recrutement durables : si l’Etat doit en prendre sa part, nos milieux doivent aussi préparer les autres. C’est un débat qui dure depuis longtemps mais les choses bougent.

Quel est le contenu des discussions à mener à l’extérieur de l’ESR ?

Sont-ils prêts à embaucher des docteurs ? Dans quelles conditions de salaire ? Attendent-ils une contrepartie de l’Etat ? Voici la nature des discussions qu’il serait souhaitable qu’un “chef de file” au sein du MESRI mène avec les interlocuteurs extérieurs, principalement les entreprises et fonction publique territoriale. L’objectif serait également de les convaincre de l’utilité des docteurs : contrairement à certaines idées reçues, ils sont tout à fait opérationnels et ne restent pas cachés derrière leurs ordinateurs ! En recruter est aussi un moyen d’accroître la place des femmes dans l’encadrement.

Quelles actions sont envisageables pour les doctorants étrangers ?

Comme le récent rapport de l’IGESR le préconise [par ici pour le lire, NDLR], il serait souhaitable d’établir un vrai statut pour attirer les étudiants étrangers vers les universités françaises et les sécuriser. Pour cela, l’idée de « chercheurs en mobilité internationale » est bonne. De plus, j’estime qu’une partie des docteurs étrangers formés en France devraient pouvoir rester et être recrutés dans certains domaines spécifiques. Enfin, pour l’immense majorité qui repartent dans leur pays d’origine, des discussions avec les pays en question – principalement du Sud – permettraient d’assumer nos responsabilités en appuyant les docteurs dans leur départ et leur arrivée.