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Les régionales du côté des labos

On a analysé les programmes des listes gagnantes dimanche dernier.

Que peut une région ? Si le financement de la recherche n’est pas une compétence régionale stricto sensu, contrairement à l’enseignement supérieur, les régions sont ainsi tenues d’établir des stratégies régionales, dont voici un exemple. Elles jouent tout de même un rôle en finançant certains programmes de recherche ou d’innovation, ainsi que dans le financement des doctorants.

Second plan. Si le sup’ et la recherche n’ont pas joué un rôle de premier plan dans la campagne ( ceci est une litote), voici tout de même un résumé des propositions portées par les vainqueurs du scrutin de dimanche, listées ci-dessous : 

Laurent Wauquiez en Auvergne-Rhône-Alpes  propose 500 millions pour soutenir « l’innovation et la recherche d’excellence » pour les six ans à venir, sans en préciser la ventilation. Laurent Wauquiez a été un éphémère ministre de l’ESR en 2011. 

Marie-Guite Dufay en Bourgogne-Franche-Comté  propose notamment de « soutenir fortement la recherche », de renforcer l’attractivité de l’Université Bourgogne Franche Comté et d’implanter une faculté dentaire mais sans chiffrage associé. 

Loïg Chesnais-Girard en Bretagne.  Rien de très précis dans le programme du président sortant, reconduit dimanche, qui propose de développer « l’économie bleue » avec un volet recherche mais sans chiffres à l’appui. 

Jean Rottner en Grand-Est.  Aucune proposition directement liée à l’enseignement supérieur ou la recherche mais le candidat met en avant son bilan dans le domaine.

 Valérie Pécresse en Île-de-France.  L’ancienne ministre de la Recherche a introduit quelques mesures ad hoc sur le sup et la recherche dans le programme de son prochain mandat : un milliard d’euros pour la quantique, l’IA, ville de demain, véhicule autonome (…), le financement des recherches sur les alternatives aux pesticides (sans budget lié) ou de vingt grands projets de recherche en santé (Alzheimer, Parkinson…) dans la continuité de la précédente mandature. 

Hervé Morin en Normandie.  Le bilan du candidat normand est un des plus complets en la matière, avec 400 millions d’euros dans les dix prochaines années consacrés à la construction de deux nouveaux campus. On notera également la volonté « d’accueillir l’installation d’un établissement d’enseignement supérieur par an », même si aucune nouvelle mesure propre à la recherche n’est avancée. 

Alain Rousset en Nouvelle-Aquitaine.  Il préconise de « poursuivre le soutien massif à la recherche médicale régionale d’excellence » — sans toutefois annoncer de rallonges — et de créer une nouvelle école vétérinaire à Limoges. 

Carole Delga en Occitanie.  Très peu de mesures sup ou recherche dans le programme de la candidate la mieux réélue de France, qui met en avant « l’aéronautique et le spatial avec le soutien à la recherche et au développement de l’avion vert ». 

Christelle Morançais en Pays de la Loire.  Elle propose la création d’une Académie régionale du patrimoine et de la nature, veut « moderniser les universités et soutenir les chercheurs » mais sans propositions précises. 

Renaud Muselier en Provence-Alpes-Côte d’Azur.  Le candidat propose un programme assez complet avec un « soutien à la recherche et au développement des traitements ambulatoires précoces » côté Covid. S’y ajoutent « 50 étudiants chercheurs financés chaque année [en plus? NDLR] » ainsi que « 10 000 entreprises accompagnées sur la propriété intellectuelle ». Enfin, il prévoit de créer une Conférence régionale de la recherche et de « mettre à disposition des entreprises les brevets d’innovation et d’invention issus de la recherche régionale ».

Après examen, nous n’avons trouvé aucune proposition liée au sup ou à la recherche dans les programmes de François Bonneau  (Centre-Val de Loire), Gilles Simeoni  (Corse), Gabriel Serville (Guyane), ni même dans celui de Xavier Bertrand (Hauts-de-France).  

Remaniement ou pas ?  Frédérique Vidal voudrait quitter son ministère, croit savoir l’émission Quotidien, avec beaucoup de conditionnel. Contacté, le ministère n’a pas répondu sur ce point. Reste à savoir si les rumeurs de mini-remaniement seront suivies d’effets.
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Interview

Arturo Casadevall : « Le système actuel est déjà une loterie »

Réduire les biais et favoriser la diversité en science, c’est le credo du biologiste Arturo Casadevall. Ce chercheur américain siège
au conseil scientifique de l’institut Pasteur.


Votre point de vue a-t-il changé depuis votre proposition de loterie en 2014 ?

Non, je suis même encore plus convaincu que le classement des candidatures pose un réel problème dans la recherche. Les comités d’évaluation distinguent très bien les bons projets scientifiques des mauvais mais, à partir du moment où ils doivent les classer, des biais apparaissent, souvent inconsciemment. Les femmes, les minorités, les sujets moins à la mode ou les institutions moins prestigieuses en payent le prix.

Quel système préconisez-vous ?


Le système actuel est déjà une loterie mais une loterie sans hasard – comportant donc des biais. Dans le système que nous avons proposé [similaire à celui qui a été mis en place en Nouvelle-Zélande, NDLR], le peer-review serait toujours présent et aurait pour rôle de sélectionner un nombre de projets acceptables [équivalent à deux ou trois fois le nombre de bourses, NDLR]. La loterie permettrait ensuite la sélection parmi ceux-ci ; l’exemple de la Nouvelle-Zélande est très encouragent [deux tiers des participants sont d’accord avec le principe, NDLR].

Avez-vous essuyé beaucoup de refus en tant que candidat ?


La plupart de mes demandes de financement échouent ! Je suis tout de même un chercheur bien établi. Le système me profite donc plus qu’à d’autres et je vois le mal qui est fait à la science dans son ensemble. Le classement par les comités d’évaluation renforce le statu quo et ne permet pas de faire ressortir les projets les plus innovants. Si je vous demande de choisir deux sujets parmi cinq, vous allez certainement choisir ceux que vous connaissez le mieux, mais pas forcément les plus intéressants.

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Outils

Codez avec un notebook

Word du code.  

Connaissez-vous les notebook ? Si vous codez un peu (typiquement pour traiter vos données), voici qui peut vous intéresser !
Véritable article exécutable ou carnet actif, les notebook permettent à la fois de coder, de visualiser les résultats mais surtout de commenter pas à pas. Idéal donc pour l’enseignement ou le partage de vos travaux pour contribuer à la reproductibilité. En fonction de votre langage préféré, vous pouvez choisir entre les outils open source Jupyter (pour Julia, Python ou R), R Markdown (pareil mais prend aussi en charge C++ ou SQL) ou Observable (Javascript).
A vous les belles visualisations à partager !  
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Une loterie mais avec parcimonie


Et le numéro complémentaire est le…
L’agence de financement suisse a introduit le hasard dans ses appels d’offres.   

Laisser faire le hasard ? Ce n’est pas du tout l’intention du Conseil de la recherche du Fond national suisse (FNS) qui distribue des financements sur appel à projets, tout comme l’ANR en France. « Nous avons confiance dans le peer-review, c’est une approche qui marche, sauf dans quelques cas spécifiques », affirme Matthias Egger, président de l’agence helvète.

Pile ou face. Pourtant, la possibilité pour les comités de sélection de recourir à une loterie a été mise en place depuis 2018. Le projet pilote portait sur des bourses de mobilité pour les postdocs et a fait l’objet d’une publication. Le principe vient d’être étendu à tous les appels pour trier les bons projets, proches de la “funding line”, les plus difficiles à départager objectivement.

En pratique. Le comité de sélection examine les rapports des reviewers, élimine les projets non compétitifs, attribue les financements aux “excellents” puis recommence avec les suivants. « Il reste parfois cinq ou dix projets de qualité comparable, pour lesquels s’engagent de longues discussions et où des arguments pas toujours acceptables sont échangés », confie Matthias Egger.

Les dés sont jetés. D’où l’introduction de la loterie, une solution auquel les comités n’ont recours qu’à la marge. « Certains comités ont des problèmes avec cette approche mais la grande majorité y est favorable car elle est plus juste ». Et les chercheurs ? Selon Mathias Egger, « l’acceptation est très élevée chez les chercheurs, notamment les jeunes. Ils préfèrent que l’agence confronte et développe une méthodologie qui prenne en compte l’aléatoire. »

Processus transparent. Quel que soit le résultat, les candidats sont informés s’ils ont été sélectionnés par le comité ou bien tirés au sort. Ainsi, même « si leur projet n’est pas ressorti de la loterie, ils savent qu’il était de qualité et qu’on aurait voulu le financer », explique le président du FNS. Les candidats malheureux pourront retenter la fois suivante, le taux de réussite étant aujourd’hui de 35 à 45% en Suisse.  
L’ANR envisage-t-elle le tirage au sort ?

L’an dernier, son PDG Thierry Damerval nous avait répondu ceci : pour être « satisfaisant d’un point de vue scientifique, la décision des comités [doit] primer. La meilleure réponse que je peux donner est l’augmentation des taux de sélection, comme nous le faisons ». Recontactée, l’ANR dit « rester sur sa ligne », tout en étant attentive aux expériences des autres agences.  
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Les défis de la France à l’ERC


La « Ligue des champions » de la science
Ces bourses d’excellence européenne sont devenues un enjeu stratégique.

Pour un kopeck de plus. A son grand dam, le président de l’ERC Jean-Pierre Bourguignon n’a pas réussi à négocier une rallonge budgétaire significative. Néanmoins avec 16 milliards d’euros sur sept ans (sans compter les contributions des pays hors UE), l’influence de ce bastion de la science excellente (comme elle se définit elle-même) ne faiblit pas. Pour reprendre les mots du commissaire européen à la recherche Janez Potocnik à l’époque de sa création en 2007 :« Je vois l’ERC comme une sorte de Ligue des champions du savoir »

Top of the pop. Quatorze ans et deux plans d’investissement plus tard, le pari semble remporté pour l’ERC, où les chercheurs se bousculent (+24% sur les starting grant cette année). Tous les établissements français, pour des raisons à la fois financière et de prestige, veulent que leurs chercheurs y soient bien représentés et communiquent larga manu sur leurs succès.

Course à l’échalote. C’est mathématiquement le CNRS qui tire son épingle du jeu en termes de nombre de lauréats ERC (633 l’année dernière), avec une mention spéciale pour l’Inria, en proportion de ses effectifs. Les universités arrivant derrière. L’Inria a même mis sur pied des postes conditionnés à l’obtention d’une grant ERC (dont les sélections sont en cours) malgré l’opposition des syndicats.

Milieu de peloton. Même si des pays comme la Hollande “surperforment” à l’ERC, quand on rapporte les résultats à leur taille, la France y tient son rang avec des taux de succès de 15% environ et se place dans la bonne moyenne européenne. Le vrai retard français se situe du côté des sciences humaines : 180 projets déposés en 2020, trois fois moins que le Royaume-Uni. 

Starting block.  Le calendrier des ERC pour la saison 2021/2022 est bien sûr déjà fixé et est le suivant ( Date d’ouverture | Budget total) :
– Starting grant   23/09/21 | 757 millions d’euros 
Consolidator grant   19/10/2021 | 784 millions d’euros 
Advanced grant   20/01/22 | 561 millions d’euros 
Synergy grant 15/07/21 | 300 millions d’euros
Le ministère a un PAPFE

L’amélioration des résultats de la France aux appels d’offres européens passe par cet acronyme un peu barbare, initié par le ministère de la Recherche auprès des établissements. Frédérique Vidal insistait notamment il y a quelque semaines sur « la complexité administrative des dossiers ERC » dont la partie non scientifique devrait être « remplie par quelqu’un d’autre que le porteur de projets ». Le système, incitatif auprès des établissements, prévoit en outre des intéressements pour les chercheurs que ce soit en grade ou par des indemnités.
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Interview

Barak Cohen : « Il n’est pas nécessaire de récompenser la nouveauté »

Doit-on pousser les chercheurs à la nouveauté ? Le généticien Barak Cohen appelle à la prudence.

En tant que chercheur, vous sentez-vous incité à produire de la nouveauté ?

Oui. La recherche de la nouveauté fait partie intégrante de notre travail : il n’est pas nécessaire de la récompenser explicitement. Notre système de revue par les pairs réussit déjà à contrebalancer la volonté d’être le premier à publier par la peur de se tromper. Si la nouveauté est trop promue par les institutions, la rapidité pourrait l’emporter sur la rigueur.

Quel est le risque à trop inciter à produire de la nouveauté ?

Celui de diminuer la motivation à approfondir les problèmes. En surévaluant l’importance de publier du nouveau, le travail nécessaire pour valider les théories et étendre leur portée à de nouveaux domaines est sous-estimé. Nous l’avons tous vécu : le premier article sur un sujet reçoit beaucoup d’attention, les suivants moins. Cela envoie un message décourageant aux postdocs et aux doctorants.

Est-ce que la situation s’améliore ?

C’est constant, je dirais. L’incitation à la nouveauté est encore assez lourde – par exemple, dans les instructions du NIH [l’institut gouvernemental pour la recherche biomédicale aux Etats-Unis, NDLR] pour les demandes de financements, le mot nouveauté revient régulièrement – et nous devrions la diminuer. L’un des objectifs de la recherche est d’étendre les théories à de nouveaux domaines et, pour cela, vous devez mener des expériences similaires, encore et encore, dans des contextes différents. Il ne faut pas décourager ce type de travail !

Les chercheurs sont-ils en capacité d’agir ?

Oui, nous avons le pouvoir de changer les choses. En tant qu’évaluateurs, nous n’avons pas besoin de mettre l’accent sur la nouveauté s’il existe d’autres preuves de qualité d’un travail scientifique que nous valorisons également. Lorsque je relis un manuscrit, j’apprécie les modèles quantitatifs et les travaux prédictifs – domaine dans lesquels la France est historiquement en pointe, ce dont elle devrait être fière. 

[Lisez son point de vue paru dans eLife ]