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 La recherche fait PFUE  


Un tour à l’atomium ?
La France occupera la tête de l’Union européenne pendant six mois.  

Si vous raté le début. Emmanuel Macron a inauguré la Présidence française de l’Union Européenne (PFUE) par un grand discours le 09 décembre dernier. D’une durée de six mois — dont trois mois de réserve présidentielle dû aux élections —, la présidence de l’UE est l’occasion de pousser certains sujets. Mais lesquels ?  

Labos à Bruxelles. Si il n’y avait qu’un terme à retenir de l’inauguration de cette présidence française, ce serait celui de « souveraineté », qui résonne dans l’actualité autour de la crise migratoire et des inquiétudes géopolitiques. Mais sur la recherche, l’Europe a toujours son mot à dire. Les Anglais, toujours écartés d’Horizon Europe, en savent quelque chose.

Pierre tombale. L’Elysée et le Quai d’Orsay auront la main sur tous les aspects de cette PFUE. Le 13 décembre, Emmanuel Macron l’a d’ailleurs fait précéder d’une visite à Viktor Orban, régulièrement épinglé pour les entraves à la liberté d’expression ou aux droits de l’homme. Histoire de marquer le coup, le président français avait prévu un hommage sur le tombeau de la philosophe Agnès Heller. 

Faux amis. L’Europe est une affaire des grands principes. Deux documents récemment publiés, l’un par la Commission européenne, l’autre par le Conseil de l’Union européenne, éclairent un peu la doctrine bruxelloise en la matière. Pour votre gouverne, le conseil de l’Union européenne n’a rien à voir avec le Conseil européen, ni même avec le Conseil de l’Europe. Oui, l’Europe a des institutions complexes.

Europe partout. Incitatif, le premier pose les bases de l’Espace européen de la recherche (EER) et rappelle l’objectif des 3% du PIB (la France en est loin) qui doivent y être consacrés en insistant sur de nombreuses valeurs : liberté académique, intégrité, parité, science ouverte, excellence… Le second plaide pour une évaluation plus quantitative de la recherche, en droite ligne de Dora.

Aréopages. Au-delà de ces considérations un peu macro, la PFUE sera l’occasion de mettre sur pied une « académie d’Europe réunissant une centaine d’intellectuels des 27 pays et de toutes disciplines », a annoncé Emmanuel Macron en plus d’une grande réunion en juin des 40 universités européennes. Un groupe de réflexion coordonné par Thierry Chopin travaille par ailleurs à donner du fond à la PFUE depuis quelques mois.
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Interview

Denise Pumain : « Il faut éviter de réinventer la roue »

Géographe, Denise Pumain a été une des premières à développer des modèles dynamiques et complexes dans sa discipline.

Pourquoi avoir introduit de nouvelles méthodes de traitement des données en géographie ?

Ma motivation était avant tout de répondre à des questions de géographe : trouver les raisons de la croissance des villes – pouvait-on l’expliquer surtout par des conditions locales ou surtout par des processus généraux ? J’ai commencé très tôt à travailler avec des données chiffrées sur les migrations de personnes dans toute la France, à la fois entre les villes et entre villes et campagnes. Avec une collègue, nous avons passé trois mois à recopier des chiffres dans de grands registres à l’INSEE en 1968. A l’époque il était assez difficile de trouver des moyens efficaces pour traiter les données. Comment comparer les profils de migration par âge, par catégorie socio-professionnelle ou par origine des migrants de plusieurs villes ? C’était très frustrant, d’autant qu’en géographie, on veut souvent considérer plusieurs variables à la fois. Je suis partie au Canada, j’ai appris le Fortran, je me suis formée en statistique afin de pouvoir extraire plus d’information à partir des données.

C’est ainsi que les propriétés typiques des systèmes complexes ont émergé en géographie ?

Je me suis aperçue que l’évolution des villes avait des points communs avec celle d’autres systèmes complexes dans la nature : les inégalités de taille peuvent être décrites par une distribution de Pareto, ressemblant à celle de la dimensions des étoiles. Mais l’interprétation de cette régularité est spécifique aux systèmes de villes : c’est à cause de leurs échanges qui les rendent très interdépendantes qu’elles gardent longtemps à peu près le même rang, même si elles évoluent toutes en taille et transforment considérablement leurs populations et leurs activités. Nous avons pu ainsi donner une réponse à la persistance des hiérarchies urbaines et à la résilience des villes !

Comment développer une vraie interdisciplinarité ?

Il faut d’abord construire un langage commun entre les disciplines. Nous sommes fiers d’avoir publié sur le premier modèle multi-agent de géographie en 1996 mais il restait bien des incertitudes. Les informaticiens ne savaient pas exactement traduire en code nos hypothèses et, à l’inverse, nous n’avions pas une compréhension totale du modèle informatique. Un immense bond en avant a été fait à partir de 2010 lorsque nous avons reçu un financement pour recruter des ingénieurs informaticiens au sein de l’équipe. Nous avons pu inclure des outils de visualisation, obtenir des résultats pertinents, reproduire des simulations avec du calcul intensif, ce qui permet de valider la construction du modèle. C’est un gros investissement qui demande de l’exigence à la fois en sciences humaines et en informatique mais qui rapporte beaucoup.

Cette problématique de traitement des données en SHS résonne toujours aujourd’hui…

Oui, à l’époque, on en avait très peu et il fallait beaucoup d’énergie pour les trouver et les traiter. Aujourd’hui, on croule sous une avalanche de données, il est donc nécessaire d’avoir des méthodes efficaces pour les manipuler. Mais il faut également éviter le gaspillage d’information qu’on observe lorsque le traitement informatique est fait sans tenir compte de l’avancement des connaissances dans le domaine. Par exemple, certains plaquent leur savoir faire mathématique sur des problèmes de SHS. Cela nous fait rire lorsque des physiciens réinventent la roue et retrouvent des résultats bien connus des géographes – comme le fait que l’intensité des interactions sociales décroit avec la distance, même quand elle est mesurée avec un GPS ! Souvent, les études réalisées à partir des données des réseaux sociaux ou de celles glanées sur Internet n’apportent pas assez de connaissances nouvelles en géographie si l’on n’a pas pris assez de soin pour assurer la qualité et la pertinence des données.
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Actualité

Pour en finir avec les disciplines ?


Savoir se fondre entre deux disciplines
Les systèmes complexes gomment les frontières entre domaines de recherche.

Binôme. Commençons par une évidence : les recherches en sciences complexes allient généralement plusieurs disciplines : « l’une formelle apporte des connaissances en modélisation, comme les maths ou l’informatique, l’autre appliquée, typiquement un domaine qui résistait à modélisation, comme la biologie, la santé ou l’urbanisme », détaille Pablo Jensen, physicien de formation, aujourd’hui sociologue de cœur.

Universel. Mais entre un physicien et un économiste, la communication peut s’avérer difficile. Paul Valcke navigue entre les deux au sein de l’Environmental Justice Program : « Un même mot peut vouloir dire des choses différentes. Faire la traduction est un vrai boulot. » Le langage mathématique devient alors un moyen de communiquer.

Réinventer l’eau tiède. « La physique apporte le quantitatif et les liens causals, mais les résultats ont-ils bien du sens en économie ? » En effet, les chercheurs de sciences dites “dures” sont parfois tentés de (re)créer des modèles sans prendre connaissance de l’existant dans la discipline. Une application sans recul des outils de physique qui n’est souvent ni efficace, ni respectueuse des sciences humaines (voir notre interview).

Tournure politique. Elle peut même être parfois fausse. Par exemple, le modèle de Thomas Schelling prédit une ségrégation totale entre Blancs et Noirs de l’autre… bien que chaque individu veuille plus de mixité. « A trop avoir confiance dans le modèle, on en conclut qu’il n’y a rien à faire, que le résultat est une fatalité », alerte Pablo Jensen.

La richesse du quali. Pour Pablo Jensen, il s’agit « d’un impérialisme des sciences de la matière qui s’attaquent aux sciences sociales. » Et pour s’en rendre compte, il faut se pencher au cœur de la sociologie, avec des sociologues : « au final leurs descriptions sont souvent plus riches et plus pertinentes que les modèles ».

Outils indispensables. Faut-il alors s’abstenir de modéliser ? Non, car même s’ils sont réducteurs, les modèles « mettent à l’épreuve notre manière de pensée et permettent de nous améliorer », nuance Pablo Jensen. En économie, le modèle développé par The Limits to Growth (relire notre numéro sur la croissance) a apporté un tout nouvel éclairage.

Animorphs. Reste alors à devenir un scientifique hybride, comme en témoigne Paul Valcke : « En sciences complexes, on a une connaissance approximative de tout. Dans l’idéal, il faudrait qu’on ne soit plus du tout spécialisé ni monodisciplinaire. Le champ des systèmes complexes peut d’ailleurs être vu comme une réponse à la surspécialisation de la recherche. Mais le chercheur reste en règle générale une bête spécialisée ! »
Les temples de la complexité 

Les instituts des systèmes complexes ont fleuri en France dans les années 2000 (l’ISC-PIF à Paris, l’IXXI à Lyon…) sur le modèle des hôtels à projets : les chercheurs y viennent pour quelques années et rencontrent des collègues d’horizons différents. L’inspiration vient d’outre-Atlantique avec le Santa Fe Institute (voir le trombinoscope) où les recherches ne sont pas compartimentées et l’échange entre chercheurs la règle. Au sein de l’institut lyonnais, des historiens, géographes ou sociologues sont invités à venir parler de sujets comme la révolution numérique. « Nous avons besoin d’eux pour poser les bonnes questions », affirme Pablo Jensen.
Les fédérateurs du complexe

Warren Weaver  Mathématicien, il formalise la complexité et s’interroge sur le rôle de la science pour le futur de l’humanité dans Science and complexity en 1948 : les problèmes ne se résument plus seulement à deux corps, surtout en biologie ! 

George Cowan Chimiste au sein du Manhattan project et durant presque 40 ans au Los Alamos National Laboratory, il co-fonde en 1984 le Santa Fe Institute, un des plus grands centres dédiés à l’étude des systèmes complexes, avec un paquet d’autres chercheurs connus.

Christopher Langton Informaticien et père de la vie artificielle, sous-champ de recherche des systèmes complexes alliant informatique et biologie, il sera à la tête du Swarm Development Group, un consortium émergent de l’institut de Santa Fe en 1999.

Paul Bourgine Chercheur français, il est à l’origine des journées de Rochebrune en 1992 (les prochaines en janvier), du Réseau national des systèmes complexes et, à l’international et plus récemment, du Complex Systems Digital Campus.
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Outils

Visualisez en 3D avec Napari

Basé sur le langage Python (décidément, vous n’y échapperez pas), Napari permet la visualisation d’images complexes mais aussi la recherche d’éléments, l’annotation et l’analyse de données.
Le code est bien sûr en open source et l’initiative a reçu un million de dollars de la part de la Chan Zuckerberg Initiative (Madame et Monsieur Facebook).
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Actualité

Les tous petits pas de l’open


Les fauteuils sont moins confortables rue Michel-Ange
Le CNRS veut évaluer ses chercheurs sous le signe de la science ouverte. En pratique, les changements sont incrémentaux.

En grande pompe. Le CNRS l’a annoncé lors de sa journée science ouverte, Le Monde a repris l’info : l’organisme va (enfin) évaluer ses chercheuses et chercheurs en accord avec les principes de la science ouverte ! A l’heure où s’ouvrent les campagnes de recrutement (voir encadré), quels sont les changements concrets ?

Diversification. Comme l’indique le guide du CNRS, les candidats aux concours 2022 n’ont plus à donner une liste exhaustive de leurs publications mais présentent une sélection de quelques productions – au maximum dix. Mais surtout, la porte est ouverte à d’autres réalisations comme les rapports, les logiciels ou les bases de données…

Verticalité. « C’est plutôt bien et cela facilite le travail des rapporteurs », commente Dorothée Berthomieu, présidente du conseil scientifique du CoNRS, instance chargée notamment de définir les principes de l’évaluation des chercheurs. Sauf que les instructions viennent de la direction du CNRS, sans consultation des présidents de sections (CPCN), déplore-t-elle.

Concision. L’autre évolution se cache dans les formulaires de dossier d’avancement qui se raccourcissent de plus en plus : les chercheurs doivent remplir une fiche résumé de cinq pages (sept en 2021) et l’accompagner d’un CV de quatre pages maximum (contre une notice des titres et travaux sans limite de taille l’an dernier).

Des plaintes. Pour Dorothée Berthomieu, « il s’agit d’une maladresse car beaucoup des sections ont été renouvelées et les nouveaux membres ne connaissent pas l’historique des chercheurs » – comprendre ici qu’ils n’ont pas eu le loisir de lire quatre années de suite le dossier du même candidat malheureux. Un nouveau format qui ne fait donc pas l’unanimité, surtout dans certaines disciplines habituées à de longs dossiers.

Entre la théorie et la pratique… « Le but est clairement d’aller vers une évaluation plus qualitative. Mais ce n’est pas nouveau, depuis 2007, on entend ce discours », admet Dorothée Berthomieu. Sur le terrain, les chercheurs voient bien que dans certains pays ou au sein de certaines disciplines, on se fie toujours au facteur d’impact – par exemple le Sigaps en médecine dont TMN expliquait le fonctionnement.
Population vieillissante

238 chargés de recherche de classe normale, 260 directeurs de recherche de 2e classe et deux directeurs de recherche de 1re classe… Le nombre de postes ouverts au concours du CNRS est à peu près constant depuis 2019, même si l’on peut noter une diminution – légère – des CR au profit des DR. En revanche, la baisse est notable depuis 2006, année où presque 400 postes de CR avaient été ouverts. Pour 2022, un tiers des postes sont “colorés” – avec une thématique et/ou un labo prioritaire. Enfin, le nombre de CR en poste diminue parallèlement à un vieillissement général de la profession.
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Interview

Olivier Beaud : « La menace est internalisée »

Les causes identitaires sont-elles la principale menace à la liberté de chercher et de s’exprimer en tant qu’universitaire ? Si le “wokisme”, la “cancel culture” ou le féminisme radical pèsent, d’autres menaces plus pernicieuses existent, comme l’administratif, analyse Olivier Beaud (Paris 2 Panthéon Assas) dans son dernier ouvrage Le savoir en danger. Ce juriste défend la liberté académique contre les attaques dont elle fait l’objet. Sans prendre de pincettes.

Faut-il inscrire la liberté académique dans la loi pour la sanctuariser ? 

La mention de la liberté académique récemment inscrite dans la LPR est complètement inutile : une disposition vide de sens, totalement instrumentalisée en réponse à la question de l’islamogauchisme. On peut noter que la seule fois que les politiques se sont intéressés à la liberté académique, ce n’est pas pour la reconnaître mais pour la restreindre. Ça part donc mal : autant ne pas légiférer en ce cas. La notion est tout de même reconnue légalement de manière éparse, que ce soit dans la loi Faure ou la loi Savary de 1984, mais beaucoup moins explicitement que ce n’est le cas à l’étranger. 

 Faut-il rendre cela plus explicite, alors ?

Je serais très prudent. Son inscription dans la loi serait un bénéfice en cas de recours… à supposer que la définition choisie par les parlementaires convienne. Si on laisse les politiques traiter le sujet, le risque de dérapage est réel, la LPR l’a prouvé.

En cas d’entrave manifeste, que faire ? Les voies de recours existent-elles pour les chercheurs ?

Quelques dispositions existent mais la plupart des chercheurs ne les utilisent pas, par ignorance et parce que les universitaires forment peu de recours, par manque de temps et de moyens. Par ailleurs, et c’est extrêmement regrettable, le Conseil d’Etat est très peu favorable à la liberté académique : il maltraite les libertés universitaires depuis vingt ans. 

Vous explorez dans votre ouvrage une différence entre deux notions pourtant proches pour le grand public : la liberté académique et la liberté d’expression. Peut-on dire pour vulgariser que la liberté d’expression vaut pour un universitaire quand il ne s’exprime pas en tant que chercheur ?

Fondamentalement, la liberté académique est plus large que la liberté d’expression : il s’agit de la liberté de choisir ses thèmes de recherche et les mener jusqu’au bout sans interférences extérieures. De plus, la liberté académique est difficile à vendre en ces temps de quasi-religion des droits de l’homme, parce qu’elle est réservée à un corps professionnel. Elle apparaît donc comme un privilège, tout comme le secret des sources des journalistes qui constitue pourtant la base du métier. La liberté académique bénéficie néanmoins à tous en permettant de faire progresser la science et donc la société.

Dans sa vidéo de candidature, Eric Zemmour vise directement « les sociologues, les universitaires », qui « mépriseraient » le peuple…

C’est du poujadisme anti intellectuel, point. Ce n’est pas un savant, il écrit des livres vides de sens d’un point de vue historique. Il s’agit de fausse science. Eric Zemmour ne peut heureusement pas invoquer la liberté académique pour parler. Un universitaire qui tiendrait de tels propos ne serait pas digne de l’être. Il est le décalque d’une pensée de droite conservatrice aux Etats-Unis — plus dangereuse en un sens que l’idéologie woke dont on parle beaucoup en ce moment — et qui passe son temps à pilonner les universitaires libéraux depuis l’ère Reagan. 

Avant d’en venir au “wokisme”, la principale entrave, selon vous, à la liberté académique en France est le poids de la gestion du système par les chercheurs.

Les universitaires sont dominés par l’administration de l’Etat et du ministère d’un côté, et par les dirigeants d’université de l’autre. Et ce alors que ces derniers sont tous universitaires, même s’ils ne se considèrent plus comme tels. Les cas d’abus de pouvoir manifeste existent. Notamment l’exemple que je rapporte dans mon ouvrage de l’organisation d’examens à l’université de Reims. Au lieu de soutenir les universitaires, le président de l’université, également vice-président de la CPU, s’est rangé du côté de son administration. On parle beaucoup du poids de l’administration dans la justice ou l’hôpital mais il en va de même à l’université où la situation est aussi dégradée. 

Le cas le plus marquant d’entrave est la restriction sans précédent de l’accès aux archives historiques par l’Etat que vous décrivez. De nombreux chercheurs se retrouvent privés de documents pourtant essentiels sur l’histoire récente de France…

Les historiens ont malheureusement perdu la bataille malgré des concessions faibles de l’administration. Le risque est bien réel dans les années à venir que des scientifiques soient coupés de leur sujet de recherche en histoire à cause de cette limitation sans précédent de l’accès aux archives. [Lire également ce numéro de la Vie de la recherche scientifique pp18-19, NDLR].

Vous précisez que les historiens semblent n’avoir reçu aucun soutien du ministère de la Recherche, pourquoi ?

Son poids politique est structurellement faible et les ministres qui l’occupent le sont souvent pour de mauvaises raisons, comme la parité. Adossés au mastodonte de l’Education nationale, la recherche et l’enseignement supérieur ont paradoxalement plus de poids. Le ministère ne défend pas les universitaires en cas d’entrave à la liberté académique : le cas de l’accès aux archives historiques est frappant. Il a fallu que les historiens et archivistes eux-mêmes se mobilisent pour que l’affaire éclate et qu’ils arrachent une concession.

Venons-en à l’islamogauchisme ou au wokisme, quelles entraves à la liberté académique avez-vous détectées à cause de ces mouvements ?

Une des principales menaces à la liberté académique est aujourd’hui internalisée : une petite minorité des étudiants en sont les ennemis, avec des effets dévastateurs. Or la violence psychologique et morale exercée sur les professeurs par les réseaux sociaux peut être aussi douloureuse que la violence physique de mai 68. La vague arrive, même si personne n’en connaît la hauteur. J’ai appris hier qu’une conférence consacrée au livre de Sabine Prokhoris [une philosophe critique du mouvement #metoo, NDLR] avait été annulée à Paris Necker. Voilà un exemple où les idéologies radicales ont gagné : quelqu’un qui ose objecter en pointant les abus et les risques juridiques d’un mouvement, évidemment légitime, se retrouve censuré. Ces groupes de pression ont imposé au président d’université de censurer la réunion sans aucun fondement légal. J’ai du mal à prédire aujourd’hui l’ampleur de ce mouvement mais la seule chose qui nous préserverait d’un choc équivalent à celui constaté en Angleterre ou aux Etats-Unis est le fait que les étudiants ne représentent pas une grande force de pression en France, au-delà de leur poids médiatique. Pour une raison simple : ils ne paient que peu de droits d’inscription. Les étudiants font la loi aux Etats-Unis parce qu’ils sont les clients du système. En France, les médias relaient tout de même la parole étudiante, parfois sans filtre. Les professeurs sont ainsi constamment mis en difficulté ; il s’agit d’une nouvelle censure dont on peut remonter à mai 68 pour en tracer les origines. 

Si ce mouvement représente un tel danger, pourquoi les universitaires ne le dénoncent-ils pas ?

Les universitaires, majoritairement de gauche, n’osent pas dénoncer ce mouvement venu de la gauche qui nous menace pourtant, quel que soit son bord politique. C’est en partie dû à la méconnaissance de qu’est l’université en France : une machine à distribuer des diplômes, aux pouvoirs atrophiés. Les élites ne fréquentant pas les bancs de l’université mais ceux des grandes écoles, tout comme les chercheurs veulent préférentiellement exercer dans les organismes de recherche.

Que préconisez-vous ?


Les universitaires sont très divisés et très seuls, sauf en sciences [expérimentales ou “dures”, NDLR] et leurs syndicats sont très peu représentatifs. Quand il s’agit de liberté académique, la question politique “suis-je de gauche ou de droite” devrait être secondaire. Il faut qu’aujourd’hui les universitaires prennent conscience de l’importance de leur liberté académique. C’est l’objet de mon livre dont la conclusion est d’ailleurs assez pessimiste. Sont-ils à la hauteur de cette mission ? J’ai des doutes aujourd’hui tant le clientélisme et le localisme ont laissé des traces.