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Un doctorat qualité filtre

Un arrêté en cours d’élaboration propose de nouvelles dispositions sensées améliorer la qualité des thèses. 

Si vous avez raté le début.  Le projet d’arrêté sur le doctorat – qui a fuité début janvier sur Academia – peut surprendre car rien dans la loi Recherche de 2020 ne l’annonçait. Mais les débats autour de la suppression de la qualification ont entaché la réputation des docteurs : pourquoi, dans certaines disciplines comme le droit, les deux tiers des candidats à la qualification sont écartés ? Leur thèse est-elle mauvaise ? « En réalité, je pense qu’il faut qu’on reprenne tout depuis le début. Les thèses doivent justifier d’un vrai travail de recherche », nous affirmait Frédérique Vidal il y a tout juste deux ans.

Le bon grain. L’objectif de cette réforme est claire : faire du doctorat « un diplôme sans faille », selon une source ministérielle. En d’autres termes, il s’agirait de mettre fin aux thèses de complaisance et d’évincer les doctorants n’ayant pas le niveau – une notion encore à définir –, même s’il est dur de jauger l’importance réelle du phénomène.

Evalué·e·s. Cela passerait donc par plus d’évaluation des doctorants, via deux mesures, déjà discutées lors de la journée du doctorat en octobre dernier – nous vous en parlions – et aujourd’hui proposées dans ce brouillon d’arrêté : 
un go/no go dès la fin de la 1ère année.  Le comité de suivi de thèse devra se réunir et donner son avis pour l’inscription en 2e année de doctorat (c’est le cas aujourd’hui uniquement pour la 3e année) ; 
une pré-soutenance à huis-clos.  Une commission, à la composition encore floue, examinera le candidat quelques mois avant la vraie soutenance afin de donner un avis pour l’autorisation de soutenance, qui serait toujours délivrée par le directeur de l’établissement.

Évaluation. D’après l’enquête (cf. notre numéro) du Réseau national des collèges doctoraux (RNCD), les doctorants semblent plutôt satisfaits de leurs comités de suivi. La satisfaction est d’ailleurs plus grande pour la moitié d’entre eux qui ont eu un droit de regard sur sa composition. La présidente du RNCD Sylvie Pommier est donc confiante :« La réforme de l’arrêté de 2016 devrait permettre de faire évoluer les comités de suivi dans les directions privilégiées par les doctorants. »

Plus d’écoute. La Confédération des jeunes chercheurs (CJC) est, elle, moins enthousiaste : ses représentantes Julie Crabot et Pauline Bennet pensent au contraire que « renforcer le rôle de sanction du comité de suivi ne permettrait plus au doctorant de s’exprimer dans un cadre bienveillant, ce qui serait particulièrement dommageable ».

Même enseigne. Au sujet de la pré-soutenance, inspirée de modèles étrangers où les thèses sont plus longues, la CJC s’inquiète de la difficulté à tenir les délais en trois ans. De plus, va-t-elle être instaurée de manière systématique malgré la lourdeur qu’elle risque d’entraîner ? Très certainement car le soupçon de “mauvaises thèses” continuera de planer si elle est utilisée uniquement dans certains cas.

Arrangement. Enfin, cette pré-soutenance ne serait-elle pas redondante avec le travail des rapporteurs ? « Organiser en préalable à la soutenance un débat approfondi autour du manuscrit de la thèse, avec au minimum les rapporteurs, pourrait apporter un plus sans trop alourdir le dispositif », suggère le RNCD.  

Notre analyse  Ces deux dispositions encore hypothétiques vont forcément alourdir la machine. Régleront-elles le problème des thèses de complaisance ? Peu probable, si c’est toujours le directeur de thèse qui propose les membres des comités et commissions. En cas de conflit, ces mesures affaibliraient encore plus le doctorant face au directeur de thèse. Elles peuvent toutefois être utiles en aidant le directeur de thèse à “faire passer le message” à un doctorant qui n’aurait pas le niveau.
Calendrier pas trop serré

Des concertations sont en cours sur des points techniques. Alors que le RNCD a déjà échangé avec le ministère, l’Andès – qui s’est exprimée – et la CJC seront bientôt reçues. L’ANRT est également de la partie. Suivra ensuite un dialogue avec les syndicats courant mars, selon le ministère. L’objectif est d’avoir une circulaire en juin pour que tout soit opérationnel en septembre.
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 La vague C déferle  

L’évaluation des unités connait-elle une dérive bureaucratique ?   

Si vous avez raté le début. Les vagues d’évaluation du Hcéres se suivent et ne se ressemblent pas. Nouveau référentiel, évolutions de la doctrine des visites (nous vous en parlions déjà) systématiques sur site, la vague C (Bourgogne-Franche-Comté, du Centre-Val-de-Loire, de Corse, du Grand-Est, de Provence-Alpes-Côte-d’Azur et d’Outre-Mer) suscite une vague… de contestation de la part de collectifs de chercheurs et de syndicats.  

La Cour. Tous les cinq ans, vous vous pliez à l’exercice : votre unité est évaluée par les experts — et néanmoins collègues — du Hcéres. Les règles du jeu ont récemment changé avec la publication de ce nouveau référentiel en novembre dernier et le changement de doctrine quant aux visites sur site. Son président, Thierry Coulhon, insiste :« On doit constater d’emblée une chose : les nouveaux référentiels sont plus simples et plus clairs, celui des unités de recherche passe de 26 pages auparavant à 7 pages aujourd’hui. »

Fronde quali. Que se passe-t-il donc en ce cas ? Ceux qui ont commencé à remplir le dossier d’évaluation s’en sont rendus compte, des changements ont eu lieu. Et ils amènent quelques craintes, comme en témoigne Christine Barralis (Sgen CFDT) :« J’entends de la part des collègues y compris seniors, un mécontentement et une perte de sens que je n’avais pas entendu auparavant ».

Excellent Excel. Le Hcéres demande en effet aux unités de remplir des tableurs (voir un exemple vierge) avec des données (RH, production scientifique…) disponibles par ailleurs. Une tache chronophage qui mobilise inutilement les personnels de soutien, pointe Boris Gralak (SNCS FSU) :« Les évaluations demandées sont déroutantes, les chercheurs doivent remplir un grand fichier à coup de copié-collés sur plusieurs centaines de lignes. (…) Nous avions l’habitude de décrire nos activités de recherche en 30 à 50 pages auparavant, ce rapport n’est plus demandé aujourd’hui. »

Peur du quanti. Le Hcéres, pourtant récent signataire de la charte Dora succombe-t-il à la tentation du comptage bête et méchant, sur fond de « dérive bureaucratique » dénoncée par l’Association des directions de laboratoire (ADL) dans cette pétition qui compte 750 signatures ? Le Hcéres s’en défend.

Dialogue de sourd. Invité à exposer sa vision de l’évaluation devant les syndicats le 18 janvier dernier, le président du Hcéres Thierry Coulhon n’a pas bougé d’un iota sur cette stratégie, à écouter ces derniers. Mais il le reconnait :« Le fichier est compliqué, les chercheurs ont raison. Notre système d’information est antédiluvien mais heureusement il va évoluer : nous proposerons un module de dépôt en ligne amélioré qui permettra de prélever les données là où elles existent. J’espère que nous pourrons lancer cette rénovation pour la vague D. »

Quête de sens. Reste le soupçon de produire des évaluations uniquement quanti. Ni le CV ni les conditions de la nomination du président du Hcéres (voir encadré) ne rassurent ceux qui s’y opposent. Un soupçon que Thierry Coulhon voudrait également dissiper :« Nous n’avons nulle intention de  mettre ces fichiers dans une machine qui ferait tourner un algorithme pour produire une note. La publication des premiers rapports de la vague C en 2024 calmera ces craintes, j’en suis certain. »

Un être vous manque. L’autre sujet sont les nouvelles modalités de visite “en distanciel”. Elles exposent à plusieurs risques : celui de ne pas permettre une discussion scientifique de qualité avec les experts du Hcéres mais aussi empêcher la détection de cas problématiques, voire de lanceurs d’alerte, comme le craignent les syndicats.

A quoi bon ? Au-delà de ces doutes, il reste donc à créer et transmettre une “envie d’évaluation”, un processus que personne ne remet en cause.  Mais aujourd’hui, comme l’ADL le dit crûment :« Tout le monde sait que ces rapports ne servent à rien, ils ne sont jamais lus et ne servent qu’à montrer à Bercy que les chercheurs sont évalués. »  
 Le Conseil d’Etat valide

La nomination de Thierry Coulhon à la tête du Hcéres a été rocambolesque. Parmi les recours formés, dont une inédite candidature collective, celui auprès des sages du Palais-Royal était toujours pendant, une audition publique a lieu dont les requérants (une dizaine d’universitaires) ont produit un résumé. En conclusion, le rapporteur public a rejeté ce recours mais a, selon les requérants, exprimé « sa gêne » devant le processus de nomination. En matière de nomination d’autorités publique indépendantes (et sur beaucoup d’autres sujets), c’est le Président de la République qui a le dernier mot. Réponse définitive du Conseil d’Etat dans trois semaines.  
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Interview

Manuel Tunon de Lara : « Tout ne se résume pas à Shanghaï »

Le président de feu la CPU revient sur l’autonomie et les inégalités du système.

Si vous avez raté le début. Le 13 janvier dernier, la Conférence des présidents d’université — 50 ans cette année — a cédé la place à France Universités. Trois mois avant la présidentielle, l’occasion pour les universités de plaider leur cause. En toile de fond : la répartition des rôles avec les organismes de recherche, CNRS en tête. Toujours abordé de manière sybilline (ou plus clairement en off) jusqu’au discours d’Emmanuel Macron, il s’agit de l’enjeu le plus structurant de la recherche pour les années à venir. France Universités est allée un cran plus loin en proposant que les universités aient la « délégation pleine et entière de gestion de toutes les UMR » (voir le reste ses propositions). 
Précision importante, cette interview date d’avant le 13 décembre et le discours d’Emmanuel Macron.


La Cour des comptes a récemment publié une note sur les universités. Disparition du statut de chercheurs, transformation du CNRS… ses préconisations sont abrasives, les partagez-vous ?


La Cour fait une somme de constatations que nous pouvons, pour certaines, partager [voilà la fameuse note, NDLR]. Je pense comme elle que l’autonomie des universités est au milieu du gué, qu’elle est même en panne, tout comme je souscris à ce qu’elle a pu écrire sur les CHU il y a deux ans [si vous avez cinq minutes, NDLR]. L’université française n’est pas suffisamment autonome et cette notion est mal comprise : nous sommes dans le peloton de queue au niveau européen, que ce soit en termes de ressources humaines ou d’autonomie pédagogique.

Laisser les universités décider “en autonomie” des avancements de carrière, c’est mettre de côté le rôle du Conseil national des universités…


Le CNU doit aider les universités à prendre les bonnes décisions. Il faut éviter les disparités criantes mais chaque établissement doit pouvoir définir et travailler son ancrage territorial, définir et travailler ses propres objectifs. Il est compliqué pour un président d’université d’avoir la responsabilité financière et salariale des enseignants chercheurs sans qu’elle soit assortie d’un pouvoir de décision. La masse salariale a été transférée aux universités au moment de la LRU [portée par Valérie Pécresse en 2007, NDLR], sans les moyens de la piloter. En conséquence, les universités se sont différenciées, avec un bilan plutôt favorable malgré des difficultés. Les universités sont en proie à une administration très centralisée, très jacobine. Il faut changer de logiciel, et l’Etat a des difficultés à admettre qu’un de ses opérateurs a besoin d’être autonome pour être efficace. Par exemple, la direction générale des ressources humaines du Ministère s’occupe à la fois — et un peu de la même façon —, de l’Education nationale, toujours très centralisée, et des universités autonomes. Cette asymétrie pose problème dans de très nombreux cas. C’est devenu flagrant dans la déclinaison de la Loi de programmation de la recherche et des décrets qui paraissent aujourd’hui : le cas du repyramidage [une répartition des postes, NDLR] des maîtres de conférence, notamment, est instructif, avec, au départ, un très fort dirigisme dans sa conception de la part de l’Etat.

 Est-ce que plus d’autonomie ne revient pas à plus d’inégalités entre les universités ? Les Idex en sont un exemple flagrant…


Les Idex ont eu des effets positifs indéniables, au-delà des financements ; ces projets ont suscité des questions que les universités ne se posaient pas auparavant, comme celle de leur stratégie. Ces réorganisations ont été confrontées à l’avis d’un jury international indépendant, qui à l’époque ne rendait compte qu’au Premier ministre. Je dis à l’époque, parce que la création du SGPI [Secrétariat général pour l’investissement, nouvelle dénomination depuis 2017 du commissaire général à l’investissement, NDLR] a redistribué les rôles avec l’intervention possible des différents ministères, ce qui peut parfois compliquer les choses.

C’est-à-dire ?


Même les universités qui pensaient avoir des projets qui tenaient la route ont été bousculées. Certaines ont réussi, d’autres n’ont pas fonctionné mais il y a eu grâce aux IdEx, Isite et autres projets du PIA [de grands plans d’investissement gérés par le SGPI à Matignon, NDLR] une forme de prise de conscience de la nécessaire transformation de nos établissements. Il ne faut pas faire de raccourci entre la taille, les IdEx et les moyens. Sur le plan des financements, il faut rappeler que les moyens du PIA sont extra-budgétaires et doivent avoir un effet levier. Ils ne compensent donc pas les inégalités qui existent entre universités et qui concernent beaucoup le niveau d’encadrement : regardez l’Université de Strasbourg, qui est un Idex, et est pourtant une université mal encadrée malgré ses prix Nobel. Par ailleurs, je crois que la différenciation est aujourd’hui assumée par les universités. Quand sur un même site cohabitaient trois ou quatre ou cinq établissements et que ceux-ci se sont réunis pour mettre en place une offre, une image, une politique commune, c’est vertueux de mon point de vue et cela n’empêche pas l’excellence de se développer dans des universités de plus petite taille. En Aquitaine, les universités de La Rochelle et de Pau ont des trajectoires ambitieuses dans les sciences du littoral ou les géosciences. 

Assumer qu’il existe dix universités excellentes et pas une de plus est une inégalité en soi…


La commande date du rapport Attali [dont un certain Emmanuel Macron était le rapporteur adjoint, NDLR] qui préconisait l’émergence de dix grands pôles universitaires : tous les gouvernements qui se sont succédés ont suivi cette voie. Cela a pu créer un sentiment d’inégalité voire d’injustice — certains étant labellisés IdEx, d’autres non — mais il s’agit bien de financements octroyés sur la base d’un projet, avec des obligations, un cahier des charges dans la transformation…. Ces projets sont légitimes et le pays en a besoin mais ils s’ajoutent à une situation qui, je vous rejoins, est à la base inégalitaire et qui souffre de l’absence d’un véritable système d’allocation de moyens. Par ailleurs, il y a de grands sites universitaires comme Lyon et Toulouse qui n’ont pas encore réussi à se structurer sur ces principes mais qui en ont le potentiel : la France ne peut pas s’en passer, Idex ou pas. Nous vivons dans un monde extrêmement compétitif où la très bonne place de Saclay [13e au dernier classement de Shanghai, NDLR] est un motif de fierté pour tous les établissements. Saclay est notre tête de pont mais je suis également fier de Montpellier, en pointe sur l’environnement, par exemple. Quant à savoir s’il en faut dix ou plus, l’Etat décidera, ce n’est pas de notre ressort et cela n’empêche pas d’avoir une politique d’excellence distribuée, comme nous l’avons suggéré au niveau européen.

Le classement de Shanghai n’explique-t-il pas à lui seul ces réformes ?

Tout ne résume pas à Shanghai : d’ailleurs, certains projets très ambitieux n’y apparaîtront pas.  

Une publi, une affiliation, n’est-ce pas le but ultime ?

La question ne se pose pas de cette manière. Ceci étant dit, pour des raisons d’organisation et de lisibilité, effectivement, un rapprochement beaucoup plus fort entre les organismes et les universités est indispensable. La LPR est de ce point de vue une occasion ratée. Quand on parle d’organismes de recherche, il y en a quantité, souvent de petite taille, très spécialisés à la différence du CNRS. Ce morcellement des acteurs, qui menait à une perte de visibilité et d’efficacité, a été en partie résolu par des fusions entre organismes ou des rapprochements avec les universités. Mais la mise en concurrence des universités en tant qu’opérateurs de recherche avec certains de ces organismes entraîne forcément des télescopages. La multiplication des noms décroît d’autant l’impact d’une publication mais le problème est plus profond que l’exemple que vous me donnez. Quand un pays a une ambition scientifique, il faut optimiser son système : sur un grand site universitaire, pourquoi avoir quatre directions de recherche en parallèle ? Qu’est-ce qui justifie que dans les unités mixtes chacun se batte pour sa part de propriété intellectuelle, sachant pertinemment que notre rôle premier n’est pas de valoriser les inventions ?  

Aux universités la tutelle des chercheurs, aux organismes la mission de leur confier certains moyens financiers ou matériels, comme le préconise la Cour des comptes. C’est votre souhait ?


La question ne concerne pas que les ressources humaines, elle est plus vaste. Je pense effectivement que certains organismes pourraient plus jouer ce rôle d’agences de moyens, comme c’est souvent le cas d’ailleurs. La réflexion sur le rapprochement entre l’université et les organismes de recherche doit se faire, sans quoi nous perpétuerons une forme de compétition et une efficience médiocre.

On a pu entendre Emmanuel Macron dire que la loi Recherche était un “début de réparation”, à quand la suite ?


En toute franchise, c’est la première fois que j’entends qu’il faut davantage financer l’ESR dans la bouche d’un président de la République. Mais la Loi de programmation de la recherche ne nous a pas permis de rattraper notre retard, la France reste moins ambitieuse que certains pays d’Europe dont l’Allemagne. La LPR constitue un apport financier réel, dont nous nous félicitons, les effets de la recapitalisation de l’Agence nationale de la recherche se ressentent déjà. Mais, tandis que les financements par projet augmentent, il y a un déficit de financement récurrent. La LPR ne fait que corriger certains retards, en particulier au niveau des salaires. Les enseignants-chercheurs et chercheurs sont dans notre pays insuffisamment reconnus et insuffisamment payés ; tout comme l’université, ils n’occupent pas la place qu’ils devraient occuper dans un pays scientifiquement avancé comme le nôtre. Il nous faut mieux défendre et développer notre potentiel humain, dès le doctorat.  
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Adèle Combes : « La recherche, c’est avant tout des êtres humains »

Harcèlement, appropriation de résultats, discrimination… des situations que dénonce Adèle Combes à travers une enquête et des témoignages.

Si vous avez raté le début. Docteure en neurosciences et travaillant aujourd’hui dans le privé, Adèle Combes reste profondément marquée par la souffrance de jeunes chercheurs qu’elle a directement observée. Travail de plusieurs années, alternant témoignage et résultats chiffrés, son livre Comment l’université broie les jeunes chercheurs arrive en pleine vague #MeTooESR : selon l’enquête, 17% des répondants se sont vus imposer des gestes à caractère sexuel ou sexiste.

Votre livre est un cri d’alerte. A qui est-il destiné ?

À beaucoup de personnes, du doctorant au politique. Mais tout d’abord à ceux qui ont souffert et n’ont pas obtenu reconnaissance de leur préjudice. J’ai l’espoir qu’en parler publiquement les aidera à guérir et à aller de l’avant. Je le destine également aux personnes en doctorat confrontés à des abus pour leur montrer qu’elles ne sont pas seules. Le livre s’adresse enfin aux étudiants en master qui s’apprêtent à faire une thèse avec le message suivant : ne fuyez pas le monde de la recherche. La thèse peut être une expérience magnifique mais il faut avoir conscience de certaines choses : un répondant sur cinq à mon enquête a vécu du harcèlement moral, par exemple. En mettant des mots, en montrant comment une relation professionnelle peut dégénérer, j’espère les aider à identifier des situations anormales qu’ils n’ont pas à accepter.

Quel message souhaitez-vous faire passer aux chercheurs permanents ?

À travers mon livre, je m’adresse aussi aux nombreux titulaires bienveillants qui peuvent être témoins d’abus mais n’osent pas forcément agir : ce n’est pas toujours facile de s’opposer à un collègue. On a besoin d’eux dans ce mouvement : on ne peut plus se permettre un soutien confidentiel, je leur demande de prendre partie sans ambiguïtés. Mon livre s’adresse également aux décisionnaires pour leur montrer que la recherche, ce n’est pas que des chiffres, ce n’est pas que des brevets et le classement de Shanghai. La recherche, c’est avant tout des personnes qui doivent être respectées et travailler dans de bonnes conditions, aussi bien humaines comme financières. Enfin, j’ai l’espoir que certaines personnes qui ont pu contribuer à ce système toxique se remettent en question. Des lecteurs commencent d’ailleurs à envoyer mon livre à leur ancien directeur ou leur ancienne directrice dans l’espoir d’une prise de conscience.

Quelles sont les causes des problèmes que vous abordez ?

C’est une question délicate. Il y en a plusieurs : par exemple, la course à l’excellence et pour les financements est une source de stress, qui crée de la compétition négative et peut impacter les relations humaines. Il serait très intéressant de l’étudier en profondeur. En revanche, ça n’excuse en rien le harcèlement ou les discriminations. Un grand nombre de chercheurs sous pression ne deviennent pas pour autant des harceleurs. Si l’on prenait plus soin des  jeunes chercheurs et titulaires, si l’on finançait mieux la recherche, si l’on sensibilisait activement aux violences sexuelles et sexistes mais aussi aux violences psychologiques, si le droit du travail était réellement appliqué dans toutes les équipes, si l’on déconstruisait le mythe qui veut qu’on doive souffrir pour faire une bonne thèse, beaucoup de situations seraient désamorcées. Et la recherche en bénéficierait.

Vous proposez aussi des solutions concrètes, notamment au sujet du comité de thèse.

Ces solutions se sont construites au fil de mes lectures, de mon expérience et au contact des témoins de ce livre. Au sujet du comité de suivi de thèse, beaucoup de doctorants en conflit avec leur direction s’autocensurent de peur que leur situation n’empire. Comment savoir si l’on peut faire confiance à des personnes choisies par son propre directeur de thèse ? Je préconise de séparer le suivi scientifique et d’effectuer un suivi des relations humaines et du bien-être psychologique par une personne indépendante, formée à ça [ce n’est pas du tout ce que prévoit le projet d’arrêté, nous y reviendrons, NDLR]. Même en dehors de toute situation conflictuelle et de toute précarité financière, la nature exigeante et parfois solitaire du doctorat peut entraîner du stress et du découragement. On doit pouvoir parler sans craintes, ni pour sa carrière ni pour l’image que l’on renvoie à ses pairs.
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Les deux visages du doctorat


Avez-vous eu la chance de tomber sur la bonne équipe ?
Deux enquêtes dressent un portrait contrasté de l’état du doctorat en France. 

Grand recensement. Améliorer les pratiques, les conditions et l’offre de formation, c’est une des motivations affichées par le RNCD (réseau national des collèges doctoraux) pour sa grande enquête sur le doctorat. Menée en automne dernier, elle croise les réponses des doctorants (presque 12 000) et celles de leurs encadrants (presque 6 000) à plus de 150 questions (toutes les données sont disponibles en ligne).

Première importance. L’enquête montre tout d’abord — au cas où quelqu’un en doutait — le poids du doctorat dans la recherche française. Les doctorants sont, de fait, associés à plus de la moitié des productions scientifiques, témoignent très majoritairement leurs encadrants. Voilà qui résume tout le paradoxe de leur positionnement dans les laboratoires.

Petites mains pour certains… Selon une autre enquête dévoilée récemment par Vies de thèse (voir l’interview d’Adèle Combes), certains doctorants se vivent comme de simples exécutants (19% des 1 900 répondants). Le RNCD insiste lui sur le fort taux de satisfaction : pour plus de deux tiers des doctorants interrogés, l’expérience correspond à leurs attentes et à leur vision.

… satisfaction pour d’autres. Les deux enquêtes se complètent finalement bien au sujet de la relation entre les doctorants et leur directeur·rice de thèse. Quatre doctorants sur cinq se déclarent satisfaits de leur encadrement selon le RNCD, un sur cinq avoue avoir subi un harcèlement moral – ou un vol de résultats en même proportion –, d’après Vies de thèse.

Deux, c’est pas toujours mieux. Le co-encadrement est étonnamment fréquent puisqu’il concerne deux tiers des doctorants en troisième année selon le RNCD. Il est d’ailleurs à double tranchant : deux encadrants valent mieux qu’un, certes, sauf s’ils ne s’entendent pas ou manquent de coordination. Autre motif d’insatisfaction, sans surprise : le financement des thèses, toujours problématique.

A la conquête du grand public. Sylvie Pommier, présidente du RNCD et Adèle Combes – aka Vies de thèse – s’accordent sur le constat que les situations problématiques sont minoritaires… mais pas sur les priorités qui en découlent. Si, pour Adèle Combes, l’urgence est de mettre fin à ces situations, Sylvie Pommier préfère donner une image du doctorat plus positive auprès du grand public, notamment pour améliorer l’insertion professionnelle des doctorants.  

La recherche avant tout  L’enquête du RNCD révèle que doctorants et encadrants se focalisent durant la thèse sur les résultats scientifiques et l’apport de connaissance : deux tiers des doctorants veulent faire carrière dans la recherche publique. Au grand dam du RNCD, qui considère que l’acquisition de compétences utiles pour travailler hors de l’académie doit devenir l’un des objectifs principaux du doctorat.
Donnes-moi ta discipline, je te dirai combien de doctorants tu as

L’enquête du RNCD révèle d’importantes différences dans les pratiques d’encadrement. S’il est très rare en sciences de la vie qu’un directeur de thèse encadre plus de cinq doctorants, la situation est fréquente en sciences humaines. Les doctorants se plaignent alors du manque de disponibilité de leur encadrant, avec des rencontres à peine mensuelle en SHS – contre plusieurs fois par semaine en sciences “dures”. Cette fréquence des rencontres joue très clairement sur le taux de satisfaction des doctorants.