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Les deux visages du doctorat


Avez-vous eu la chance de tomber sur la bonne équipe ?
Deux enquêtes dressent un portrait contrasté de l’état du doctorat en France. 

Grand recensement. Améliorer les pratiques, les conditions et l’offre de formation, c’est une des motivations affichées par le RNCD (réseau national des collèges doctoraux) pour sa grande enquête sur le doctorat. Menée en automne dernier, elle croise les réponses des doctorants (presque 12 000) et celles de leurs encadrants (presque 6 000) à plus de 150 questions (toutes les données sont disponibles en ligne).

Première importance. L’enquête montre tout d’abord — au cas où quelqu’un en doutait — le poids du doctorat dans la recherche française. Les doctorants sont, de fait, associés à plus de la moitié des productions scientifiques, témoignent très majoritairement leurs encadrants. Voilà qui résume tout le paradoxe de leur positionnement dans les laboratoires.

Petites mains pour certains… Selon une autre enquête dévoilée récemment par Vies de thèse (voir l’interview d’Adèle Combes), certains doctorants se vivent comme de simples exécutants (19% des 1 900 répondants). Le RNCD insiste lui sur le fort taux de satisfaction : pour plus de deux tiers des doctorants interrogés, l’expérience correspond à leurs attentes et à leur vision.

… satisfaction pour d’autres. Les deux enquêtes se complètent finalement bien au sujet de la relation entre les doctorants et leur directeur·rice de thèse. Quatre doctorants sur cinq se déclarent satisfaits de leur encadrement selon le RNCD, un sur cinq avoue avoir subi un harcèlement moral – ou un vol de résultats en même proportion –, d’après Vies de thèse.

Deux, c’est pas toujours mieux. Le co-encadrement est étonnamment fréquent puisqu’il concerne deux tiers des doctorants en troisième année selon le RNCD. Il est d’ailleurs à double tranchant : deux encadrants valent mieux qu’un, certes, sauf s’ils ne s’entendent pas ou manquent de coordination. Autre motif d’insatisfaction, sans surprise : le financement des thèses, toujours problématique.

A la conquête du grand public. Sylvie Pommier, présidente du RNCD et Adèle Combes – aka Vies de thèse – s’accordent sur le constat que les situations problématiques sont minoritaires… mais pas sur les priorités qui en découlent. Si, pour Adèle Combes, l’urgence est de mettre fin à ces situations, Sylvie Pommier préfère donner une image du doctorat plus positive auprès du grand public, notamment pour améliorer l’insertion professionnelle des doctorants.  

La recherche avant tout  L’enquête du RNCD révèle que doctorants et encadrants se focalisent durant la thèse sur les résultats scientifiques et l’apport de connaissance : deux tiers des doctorants veulent faire carrière dans la recherche publique. Au grand dam du RNCD, qui considère que l’acquisition de compétences utiles pour travailler hors de l’académie doit devenir l’un des objectifs principaux du doctorat.
Donnes-moi ta discipline, je te dirai combien de doctorants tu as

L’enquête du RNCD révèle d’importantes différences dans les pratiques d’encadrement. S’il est très rare en sciences de la vie qu’un directeur de thèse encadre plus de cinq doctorants, la situation est fréquente en sciences humaines. Les doctorants se plaignent alors du manque de disponibilité de leur encadrant, avec des rencontres à peine mensuelle en SHS – contre plusieurs fois par semaine en sciences “dures”. Cette fréquence des rencontres joue très clairement sur le taux de satisfaction des doctorants.
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Interview

Colin Lemée : « Le nudge est intéressant comme porte d’entrée »

Spécialiste des questions environnementales, Colin Lemée est docteur en psychologie comportementale et aujourd’hui freelance. Il explique le nudge à TMN.

Pour un psychologue environnemental, c’est quoi le nudge ? Un gadget ?

Le nudge s’appuie sur des études et des phénomènes qui sont connus depuis longtemps en psychologie. Ce n’est donc pas une révolution, c’est plutôt une nouvelle façon de communiquer pour provoquer de petits changements de comportement. A ce titre, le nudge est intéressant en tant que porte d’entrée : on peut modifier les comportements de façon quasi-immédiate. Le travail consiste alors à capitaliser sur ce changement. On va chercher à faire réfléchir les individus via, par exemple, des méthodes participatives (ateliers, serious games…), afin d’ancrer le comportement sur le long terme.

Dans quels cas utiliser le nudge ?

Dans un certain nombre de cas les outils des politiques publiques classiques sont inefficaces. L’incitation est alors le seul outil restant. Dans la gestion des déchets par exemple, des systèmes de subvention ou de punition seraient trop compliqués et trop coûteux à mettre en place – comment savoir qui jette quoi et où ? Le nudge permet ici d’obtenir des résultats très rapidement et avec un minimum de coût : transformer les cendriers en urne de vote ou placer des paniers de basket sur les poubelles pour encourager le tri.

Existe-il un phénomène de lassitude face au nudge ?

Au début, le nudge intéresse car il est nouveau, ludique et les individus vont avoir tendance à y céder. Mais dans le long terme, il y a un effet de lassitude et si l’on n’a pas ancré le changement, il faut renouveler le nudge. De plus, nous ne sommes pas tous égaux devant les biais cognitifs utilisés par le nudge et certains peuvent y résister. Par exemple, nous ne sommes pas tous sensibles à la comparaison sociale.
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Actualité

L’inno, je t’aime (moi non plus)

Les chercheurs sont poussés à innover depuis quelques années mais toutes les disciplines ne sont pas à égalité. Analyse d’un rapport contrarié.

La stature — et le statut — du chercheur-entrepreneur sont une invention récente. Entériné par la loi Pacte ou le plan Deeptech, l’idée que la recherche ne s’arrête pas aux portes du labo a fait du chemin depuis quelques années.

Mais cette réalité n’est pas la même pour tous. En effet, les résultats  de #ParlonsRecherche montrent qu’elle est vécue différemment entre les disciplines, (lire également Beyonlab#1). Voici quelques chiffres :
43% des chercheurs en « sciences dures »  (on se comprend) pensent qu’il n’y a pas assez de start-up issues de la recherche publique contre moins de 30% en sciences humaines.

Le scientisme est-il de retour ? Les disciplines se distinguent également sur leur confiance dans l’avenir et la technologie, avec des différences marquées dont voici deux exemples :

 Près de 60% des chercheurs en sciences humaines  ne sont pas d’accord avec l’affirmation « grâce à la science et la technologie, nos enfants vivront mieux que nous » (contre 45% en sciences dures). 
A la question (manichéenne) « La science fait-elle plus de mal que de bien ? » , les différences s’amenuisent néanmoins, la majorité (71%) de nos répondants s’accordant à dire que la science fait du bien. Ouf.

On se permet une remarque personnelle. Si elle fait autant parler, c’est que l’innovation est une idée qui percute un idéal : celui d’une recherche désintéressée et, par essence, sans modèle économique.
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Actualité

Vers une recherche plus verte ?



Ceci n’est pas un débat sur les OGM.
Réduire l’empreinte carbone de la science, c’est une des ambitions affichées du CNRS. Mais aussi et surtout un gros enjeu pour les chercheurs.

Un impératif. Il faut diminuer les émissions de gaz à effet de serre (ou GES pour les intimes) ! Vous connaissez certainement les recommandations du Giec : — 45% d’ici 2030 et neutralité carbone en 2050 pour contenir le un réchauffement de la planète à +1,5°C. La tâche est herculéenne et tous les acteurs de la société sont invités à y prendre part. Mais que fait la recherche ?  

Dans la relance. Le gouvernement vient de profiter du programme France Relance pour mettre sur la table 4 milliards d’euros qui seront distribués à des projets de rénovation thermique des bâtiments publics de l’ESR. Il faut rappeler qu’environ un quart des émissions de GES en France provient des bâtiments.

Les universités s’y mettent. Dans les universités, des vice-présidents au développement soutenable sont nommés, comme Jane Lecomte à Paris-Saclay, dont une des missions est de sensibiliser les personnels aux enjeux climatiques. A l’étranger, d’autres ont déjà commencé. L’université de Colombie-Britannique arrive aujourd’hui première mondiale en terme d’action climatique grâce à son plan de réduction des émissions sur dix ans.

Surtout des chercheurs. Les professionnels de la recherche n’ont pas attendu pour s’organiser. On peut citer le mouvement No Fly Climate Sci qui prône depuis 2017 une diminution des voyages en avion ou le groupement de service EcoInfo qui milite depuis quatorze ans pour une informatique éco-responsable. Ce dernier propose entre autres un outil permettant de calculer les émissions de GES liées aux équipements informatiques.

Un collectif d’ampleur nationale. En France, l’initiative qui monte, c’est Labos1point5. Fondée par deux chercheurs en mars 2019, le collectif regroupe aujourd’hui plus de 300 professionnels de la recherche actifs dans six équipes de travail. Parmi leurs nombreux projets, la création de l’outil GES1point5. Celui-ci permettra de réaliser un bilan des émissions de gaz à effet de serre au sein d’un laboratoire.

Bientôt dans les bacs. Le premier volet de GES1point5 tiendra compte des émissions liées au bâtiment (chauffage, énergie, gaz réfrigérant) et aux déplacements (véhicules propres au labo, missions et trajet domicile-travail des personnels). L’outil a même déjà été cité par le CNRS en juillet. Il ne reste qu’à s’en emparer.
Le h-index a-t-il le mal de l’air ?

Il n’y a pas de corrélation — ou une très faible — entre h-index et voyages en avion : c’est le résultat de deux études menées par des universitaires en interne (l’une à l’UBC au Canada et l’autre à l’EPFL en Suisse). Pour Jane Lecomte de Paris-Saclay, c’est la preuve qu’« il est déjà possible de réduire l’empreinte carbone de la recherche sans en dégrader la qualité ».
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Interview

Marianne Le Gagneur : « Télétravailler doit rester un choix »

Spécialiste du télétravail chez les cadres, Marianne Le Gagneur a du pain sur la planche. Elle évoque pour TMN la situation des chercheurs.

Le télétravail n’était-il pas relativement naturel pour les chercheurs ?

Ils n’ont pas attendu le confinement pour s’y mettre et sont dans la catégorie socio-professionnelle qui utilise d’habitude ce dispositif. Mais, alors que le télétravail se fait en général à distance du lieu de travail dans le cadre d’accords négociés, les chercheurs l’effectuaient souvent sous forme de “surtravail” en poursuivant leur journée de travail à la maison. Ce “surtravail”, en dehors de tout cadre légal, va dans le sens de la liberté des espaces de travail du chercheur.

La recherche est un travail collectif. Y-a-t-il un risque de perte de sens ?

Tout à fait. Dans ce télétravail qui s’est installé sur le long terme, des solutions ont été mises en place pour pallier cette solitude. Mais la situation était plus compliquée pour celles et ceux qui s’occupaient de leurs enfants à domicile – et en particulier pour les femmes, qui ont en moyenne moins publié. La perte de sens peut s’expliquer par la disparition du collectif mais, selon moi, elle est avant tout due à la crise que nous avons vécue. Certains chercheurs ont pu se sentir désœuvrés car pas directement utiles.

Comment envisager le retour à la normale ? 


Le télétravail va probablement se répandre mais il doit rester choisi et non subi. Car, si certains sont très intéressés par le télétravail, pour d’autres ne plus se rendre sur leur lieu de travail est vécu comme une privation. De plus, au lieu de laisser le flou sur les conditions de travail des chercheurs et les laisser gérer eux-mêmes, on pourrait élaborer des règles communes comme le télétravail partiel et fournir des outils adéquats. On a laissé aux individus la charge de prendre soin les uns des autres car rien de systématique n’a été mis en place au niveau institutionnel.
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Actualité

Il y a du monde à la tribune

Si la mobilisation se mesurait au nombre de tribunes publiées, février 2020 aurait tout d’un mai 68 de la recherche…

 Ce ne sont pas moins de cinq tribunes à propos de la LPPR parues dans Le Monde (derrière un paywall malvenu), dont une de Frédérique Vidal herself, qui sont venues pimenter le débat en ce début de mois de février fiévreux (big up pour l’allitération). On les a classées par pure taquinerie de la plus “LPPR compatible” à la moins “LPPR compatible” : 

Tout d’abord, of course, celle de Frédérique Vidal elle-même : « A mes collègues scientifiques, je veux dire que le gouvernement a entendu leur appel à réinvestir massivement dans la recherche » ;

Le texte de Philippe Froguel : « Vite une loi pour une science française productive, imaginative et compétitive », qui répond d’ailleurs à la numéro 4 de notre classement ;

L’analyse de Christine Musselin : « La Loi de programmation pluriannuelle pour la recherche ne doit pas consacrer une seule forme d’excellence » ;

La diatribe de 700 directeurs de laboratoires : « Notre politique de recherche serait-elle faite par et pour 1 % des scientifiques ? » ;

Une charge d’un collectif de chercheuses et d’universitaires spécialistes du genre : « Une réforme néolibérale contre la science et les femmes ».