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Contestées envers et contre tout

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­La mise en place progressive des Chaires de professeur junior (CPJ) n’a pas éteint les critiques. 

Si vous avez raté le début.  Une nouvelle voie d’accès directe en trois à six ans à des postes de professeurs ou de directeur de recherche avec 200 000 euros de financement, un salaire confortable équivalent à dix ans d’expérience, une décharge d’enseignement (pour les universitaires, s’entend). Où est le hic ? Cette disposition de la loi Recherche a en effet concentré toutes les critiques depuis sa première évocation et son vote définitif, fin 2020, malgré l’application de quotas — pas plus de 15% des recrutements de profs, 20% des directeurs de recherche. En cause : le contournement des instances d’évaluation par les pairs ou par les concours.

Brouillard. Avec 92 chaires accordées fin 2021 aux établissements qui le souhaitaient, les Chaires de professeur junior ont connu un début timide, peut-être dû aux nombreux flous réglementaires entourant encore leur mise en place. Flous persistant d’ailleurs sur de nombreux points malgré l’insistance du ministère à promouvoir cette mesure emblématique de la loi Recherche.

Discrétionnaire. Comment les chercheurs embauchés disposeront des 200 000 euros de budget alloués par chaire ? Quels critères les mèneront à une titularisation présentée comme quasiment automatique (voir notre interview plus bas) ? Mystère aujourd’hui au moment où les petites annonces fleurissent sur les sites des universités et organismes : 92 au total pour la vague 2021, pour des profils très particuliers.

Capitaines ad hoc. C’était un des objectifs affichés de la mesure : attirer des profils “atypiques”, quitte à tricoter des fiches de poste sur mesure, très majoritairement en sciences dures. Comme le remarque Christophe Bonnet (Sgen-CFDT) :« Nous saurons dans quelques mois quels profils ont été recrutés. Pour certaines Chaires, ce ne sont même plus des postes à moustaches mais des portraits robots ! » 

Deuxièmes du nom. Le temps s’accélère puisqu’une circulaire du 05 janvier a initié une deuxième campagne auprès des établissements, campagne dont les résultats devraient être connus à l’heure où vous lisez ces lignes. Le ministère affiche toujours sa volonté d’en créer 300 en 2022, 300 personnes par an qui représenteront près de 2 000 recrutés dans six ans. Pour Philippe Aubry (Snesup) :« La question est aujourd’hui : que se passera-t-il financièrement au bout de la période de trois à six ans au moment de la titularisation ? C’est à ce moment que tout se jouera. »

Itinéraire bis. Si les “fast track” pour accéder au professorat ne manquent pas, comment s’insèreront ces juniors dans les laboratoires qui les accueilleront ? L’inégalité de facto créée par leur statut (lire notre interview de Christine Musselin) et les avantages qui y sont liés (financement, décharge d’enseignement) seront-ils solubles dans la vie des labos ? 

Notre analyse.  Et le CNRS dans tout ça ? Si les universités ne réclamaient pas ces CPJ, l’organisme de recherche en a défendu mordicus le principe. Or aucune demande de CPJ n’a été faite par le CNRS en 2021 au contraire de ses camarades (Inserm, Inria…). Retournement de situation le 22 février : le CNRS va demander 25 postes de CPJ pour 2022.
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Frédérique Bordignon : « Survendre est dangereux »

Avec deux collègues informaticienne et sociologue des sciences, cette linguiste a passé au crible les abstracts des preprints liés au Covid.

Les chercheurs ont-ils changé leurs habitudes d’écriture avec la Covid ?

C’est exactement la question que nous nous sommes posée, mes deux co-autrices et moi : la crise de la Covid et la déferlante de preprints qui l’accompagnait avaient-elles un impact sur la façon de rédiger ? La réponse est oui : les chercheurs ont utilisé un lexique plus optimiste dans les abstracts des preprints sur la Covid partagés au tout début de la crise, comparé à un corpus témoin avant Covid.

Comment quantifier ces changements ?

Nous avons cherché différents types de marqueurs dans les abstracts [presque 24 000 preprints au total, NDLR] et comparé leur évolution par rapport à avant la crise. D’une part les mots positifs comme “robust”, “impressive”, “effective”, “significant” ou encore “novel” – le plus fréquent de tous – étaient encore plus employés dans les preprints sur la Covid. D’autre part, les mots négatifs, déjà peu présents dans la littérature scientifique, l’étaient encore moins. Enfin, nous avons remarqué la présence accrue de mots montrant l’incertitude comme “may”, “would”, “suggest”. En résumé, notre corpus regorge de it could be effective” (« ça pourrait être efficace »).

Surpromotion et incertitude en même temps, cela peut sembler contradictoire, non ?

Les chercheurs ont certainement eu recours à l’exagération pour accrocher le lecteur et se démarquer dans le très large lot de preprints. Mais ils ont aussi très vite compris que dans ce moment particulier, ils allaient toucher une audience particulière. Tout le monde peut lire les preprints au-delà de la communauté scientifique, comme les politiques ou les journalistes. D’où cette invitation à la prudence vis-à-vis des tout premiers résultats partagés, surtout que le résumé est souvent la seule partie que les gens lisent.

Cette tendance à la surpromotion existait-elle avant la Covid ?

Oui et elle avait déjà été repérée dans les abstracts, les introductions ou même dans le corps principal des articles. L’exagération des résultats – “hyping science” en anglais – est particulièrement visible dans les abstracts car il s’agit d’un genre promotionnel en général gratuit : une accroche pour que le lecteur lise la suite. 

Y a-t-il des conséquences néfastes ?

Oui, on peut parler de méconduite scientifique lorsque les résultats scientifiques sont exagérés, mais aussi lorsque la présentation des résultats est infidèle à la réalité – notamment en laissant de côté ce qui n’a pas marché. La survente est dangereuse et il faut éviter de partir dans l’exagération car si les chercheurs savent déjouer les pièges, un lecteur moins averti peut être biaisé et de faux espoirs être communiqués dans la presse. Pour lutter contre cette mauvaise pratique, les éditeurs scientifiques ont réagi en publiant des guidelines ou en interdisant même l’usage de certains mots

Avez-vous donc fait attention lorsque vous avez écrit votre abstract ? 

Oui, nous avons fait attention ! On se surveille mais on se surprend également : ne serions-nous pas un peu trop positives ici ? Et il n’y a pas que dans les publications que cela nous arrive, les promesses sont très présente dans les réponses aux appels à projets, à coup de “promising” et “unique”. Mais sommes-nous capables de les tenir ?
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Un doctorat qualité filtre

Un arrêté en cours d’élaboration propose de nouvelles dispositions sensées améliorer la qualité des thèses. 

Si vous avez raté le début.  Le projet d’arrêté sur le doctorat – qui a fuité début janvier sur Academia – peut surprendre car rien dans la loi Recherche de 2020 ne l’annonçait. Mais les débats autour de la suppression de la qualification ont entaché la réputation des docteurs : pourquoi, dans certaines disciplines comme le droit, les deux tiers des candidats à la qualification sont écartés ? Leur thèse est-elle mauvaise ? « En réalité, je pense qu’il faut qu’on reprenne tout depuis le début. Les thèses doivent justifier d’un vrai travail de recherche », nous affirmait Frédérique Vidal il y a tout juste deux ans.

Le bon grain. L’objectif de cette réforme est claire : faire du doctorat « un diplôme sans faille », selon une source ministérielle. En d’autres termes, il s’agirait de mettre fin aux thèses de complaisance et d’évincer les doctorants n’ayant pas le niveau – une notion encore à définir –, même s’il est dur de jauger l’importance réelle du phénomène.

Evalué·e·s. Cela passerait donc par plus d’évaluation des doctorants, via deux mesures, déjà discutées lors de la journée du doctorat en octobre dernier – nous vous en parlions – et aujourd’hui proposées dans ce brouillon d’arrêté : 
un go/no go dès la fin de la 1ère année.  Le comité de suivi de thèse devra se réunir et donner son avis pour l’inscription en 2e année de doctorat (c’est le cas aujourd’hui uniquement pour la 3e année) ; 
une pré-soutenance à huis-clos.  Une commission, à la composition encore floue, examinera le candidat quelques mois avant la vraie soutenance afin de donner un avis pour l’autorisation de soutenance, qui serait toujours délivrée par le directeur de l’établissement.

Évaluation. D’après l’enquête (cf. notre numéro) du Réseau national des collèges doctoraux (RNCD), les doctorants semblent plutôt satisfaits de leurs comités de suivi. La satisfaction est d’ailleurs plus grande pour la moitié d’entre eux qui ont eu un droit de regard sur sa composition. La présidente du RNCD Sylvie Pommier est donc confiante :« La réforme de l’arrêté de 2016 devrait permettre de faire évoluer les comités de suivi dans les directions privilégiées par les doctorants. »

Plus d’écoute. La Confédération des jeunes chercheurs (CJC) est, elle, moins enthousiaste : ses représentantes Julie Crabot et Pauline Bennet pensent au contraire que « renforcer le rôle de sanction du comité de suivi ne permettrait plus au doctorant de s’exprimer dans un cadre bienveillant, ce qui serait particulièrement dommageable ».

Même enseigne. Au sujet de la pré-soutenance, inspirée de modèles étrangers où les thèses sont plus longues, la CJC s’inquiète de la difficulté à tenir les délais en trois ans. De plus, va-t-elle être instaurée de manière systématique malgré la lourdeur qu’elle risque d’entraîner ? Très certainement car le soupçon de “mauvaises thèses” continuera de planer si elle est utilisée uniquement dans certains cas.

Arrangement. Enfin, cette pré-soutenance ne serait-elle pas redondante avec le travail des rapporteurs ? « Organiser en préalable à la soutenance un débat approfondi autour du manuscrit de la thèse, avec au minimum les rapporteurs, pourrait apporter un plus sans trop alourdir le dispositif », suggère le RNCD.  

Notre analyse  Ces deux dispositions encore hypothétiques vont forcément alourdir la machine. Régleront-elles le problème des thèses de complaisance ? Peu probable, si c’est toujours le directeur de thèse qui propose les membres des comités et commissions. En cas de conflit, ces mesures affaibliraient encore plus le doctorant face au directeur de thèse. Elles peuvent toutefois être utiles en aidant le directeur de thèse à “faire passer le message” à un doctorant qui n’aurait pas le niveau.
Calendrier pas trop serré

Des concertations sont en cours sur des points techniques. Alors que le RNCD a déjà échangé avec le ministère, l’Andès – qui s’est exprimée – et la CJC seront bientôt reçues. L’ANRT est également de la partie. Suivra ensuite un dialogue avec les syndicats courant mars, selon le ministère. L’objectif est d’avoir une circulaire en juin pour que tout soit opérationnel en septembre.
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 La vague C déferle  

L’évaluation des unités connait-elle une dérive bureaucratique ?   

Si vous avez raté le début. Les vagues d’évaluation du Hcéres se suivent et ne se ressemblent pas. Nouveau référentiel, évolutions de la doctrine des visites (nous vous en parlions déjà) systématiques sur site, la vague C (Bourgogne-Franche-Comté, du Centre-Val-de-Loire, de Corse, du Grand-Est, de Provence-Alpes-Côte-d’Azur et d’Outre-Mer) suscite une vague… de contestation de la part de collectifs de chercheurs et de syndicats.  

La Cour. Tous les cinq ans, vous vous pliez à l’exercice : votre unité est évaluée par les experts — et néanmoins collègues — du Hcéres. Les règles du jeu ont récemment changé avec la publication de ce nouveau référentiel en novembre dernier et le changement de doctrine quant aux visites sur site. Son président, Thierry Coulhon, insiste :« On doit constater d’emblée une chose : les nouveaux référentiels sont plus simples et plus clairs, celui des unités de recherche passe de 26 pages auparavant à 7 pages aujourd’hui. »

Fronde quali. Que se passe-t-il donc en ce cas ? Ceux qui ont commencé à remplir le dossier d’évaluation s’en sont rendus compte, des changements ont eu lieu. Et ils amènent quelques craintes, comme en témoigne Christine Barralis (Sgen CFDT) :« J’entends de la part des collègues y compris seniors, un mécontentement et une perte de sens que je n’avais pas entendu auparavant ».

Excellent Excel. Le Hcéres demande en effet aux unités de remplir des tableurs (voir un exemple vierge) avec des données (RH, production scientifique…) disponibles par ailleurs. Une tache chronophage qui mobilise inutilement les personnels de soutien, pointe Boris Gralak (SNCS FSU) :« Les évaluations demandées sont déroutantes, les chercheurs doivent remplir un grand fichier à coup de copié-collés sur plusieurs centaines de lignes. (…) Nous avions l’habitude de décrire nos activités de recherche en 30 à 50 pages auparavant, ce rapport n’est plus demandé aujourd’hui. »

Peur du quanti. Le Hcéres, pourtant récent signataire de la charte Dora succombe-t-il à la tentation du comptage bête et méchant, sur fond de « dérive bureaucratique » dénoncée par l’Association des directions de laboratoire (ADL) dans cette pétition qui compte 750 signatures ? Le Hcéres s’en défend.

Dialogue de sourd. Invité à exposer sa vision de l’évaluation devant les syndicats le 18 janvier dernier, le président du Hcéres Thierry Coulhon n’a pas bougé d’un iota sur cette stratégie, à écouter ces derniers. Mais il le reconnait :« Le fichier est compliqué, les chercheurs ont raison. Notre système d’information est antédiluvien mais heureusement il va évoluer : nous proposerons un module de dépôt en ligne amélioré qui permettra de prélever les données là où elles existent. J’espère que nous pourrons lancer cette rénovation pour la vague D. »

Quête de sens. Reste le soupçon de produire des évaluations uniquement quanti. Ni le CV ni les conditions de la nomination du président du Hcéres (voir encadré) ne rassurent ceux qui s’y opposent. Un soupçon que Thierry Coulhon voudrait également dissiper :« Nous n’avons nulle intention de  mettre ces fichiers dans une machine qui ferait tourner un algorithme pour produire une note. La publication des premiers rapports de la vague C en 2024 calmera ces craintes, j’en suis certain. »

Un être vous manque. L’autre sujet sont les nouvelles modalités de visite “en distanciel”. Elles exposent à plusieurs risques : celui de ne pas permettre une discussion scientifique de qualité avec les experts du Hcéres mais aussi empêcher la détection de cas problématiques, voire de lanceurs d’alerte, comme le craignent les syndicats.

A quoi bon ? Au-delà de ces doutes, il reste donc à créer et transmettre une “envie d’évaluation”, un processus que personne ne remet en cause.  Mais aujourd’hui, comme l’ADL le dit crûment :« Tout le monde sait que ces rapports ne servent à rien, ils ne sont jamais lus et ne servent qu’à montrer à Bercy que les chercheurs sont évalués. »  
 Le Conseil d’Etat valide

La nomination de Thierry Coulhon à la tête du Hcéres a été rocambolesque. Parmi les recours formés, dont une inédite candidature collective, celui auprès des sages du Palais-Royal était toujours pendant, une audition publique a lieu dont les requérants (une dizaine d’universitaires) ont produit un résumé. En conclusion, le rapporteur public a rejeté ce recours mais a, selon les requérants, exprimé « sa gêne » devant le processus de nomination. En matière de nomination d’autorités publique indépendantes (et sur beaucoup d’autres sujets), c’est le Président de la République qui a le dernier mot. Réponse définitive du Conseil d’Etat dans trois semaines.  
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Adèle Combes : « La recherche, c’est avant tout des êtres humains »

Harcèlement, appropriation de résultats, discrimination… des situations que dénonce Adèle Combes à travers une enquête et des témoignages.

Si vous avez raté le début. Docteure en neurosciences et travaillant aujourd’hui dans le privé, Adèle Combes reste profondément marquée par la souffrance de jeunes chercheurs qu’elle a directement observée. Travail de plusieurs années, alternant témoignage et résultats chiffrés, son livre Comment l’université broie les jeunes chercheurs arrive en pleine vague #MeTooESR : selon l’enquête, 17% des répondants se sont vus imposer des gestes à caractère sexuel ou sexiste.

Votre livre est un cri d’alerte. A qui est-il destiné ?

À beaucoup de personnes, du doctorant au politique. Mais tout d’abord à ceux qui ont souffert et n’ont pas obtenu reconnaissance de leur préjudice. J’ai l’espoir qu’en parler publiquement les aidera à guérir et à aller de l’avant. Je le destine également aux personnes en doctorat confrontés à des abus pour leur montrer qu’elles ne sont pas seules. Le livre s’adresse enfin aux étudiants en master qui s’apprêtent à faire une thèse avec le message suivant : ne fuyez pas le monde de la recherche. La thèse peut être une expérience magnifique mais il faut avoir conscience de certaines choses : un répondant sur cinq à mon enquête a vécu du harcèlement moral, par exemple. En mettant des mots, en montrant comment une relation professionnelle peut dégénérer, j’espère les aider à identifier des situations anormales qu’ils n’ont pas à accepter.

Quel message souhaitez-vous faire passer aux chercheurs permanents ?

À travers mon livre, je m’adresse aussi aux nombreux titulaires bienveillants qui peuvent être témoins d’abus mais n’osent pas forcément agir : ce n’est pas toujours facile de s’opposer à un collègue. On a besoin d’eux dans ce mouvement : on ne peut plus se permettre un soutien confidentiel, je leur demande de prendre partie sans ambiguïtés. Mon livre s’adresse également aux décisionnaires pour leur montrer que la recherche, ce n’est pas que des chiffres, ce n’est pas que des brevets et le classement de Shanghai. La recherche, c’est avant tout des personnes qui doivent être respectées et travailler dans de bonnes conditions, aussi bien humaines comme financières. Enfin, j’ai l’espoir que certaines personnes qui ont pu contribuer à ce système toxique se remettent en question. Des lecteurs commencent d’ailleurs à envoyer mon livre à leur ancien directeur ou leur ancienne directrice dans l’espoir d’une prise de conscience.

Quelles sont les causes des problèmes que vous abordez ?

C’est une question délicate. Il y en a plusieurs : par exemple, la course à l’excellence et pour les financements est une source de stress, qui crée de la compétition négative et peut impacter les relations humaines. Il serait très intéressant de l’étudier en profondeur. En revanche, ça n’excuse en rien le harcèlement ou les discriminations. Un grand nombre de chercheurs sous pression ne deviennent pas pour autant des harceleurs. Si l’on prenait plus soin des  jeunes chercheurs et titulaires, si l’on finançait mieux la recherche, si l’on sensibilisait activement aux violences sexuelles et sexistes mais aussi aux violences psychologiques, si le droit du travail était réellement appliqué dans toutes les équipes, si l’on déconstruisait le mythe qui veut qu’on doive souffrir pour faire une bonne thèse, beaucoup de situations seraient désamorcées. Et la recherche en bénéficierait.

Vous proposez aussi des solutions concrètes, notamment au sujet du comité de thèse.

Ces solutions se sont construites au fil de mes lectures, de mon expérience et au contact des témoins de ce livre. Au sujet du comité de suivi de thèse, beaucoup de doctorants en conflit avec leur direction s’autocensurent de peur que leur situation n’empire. Comment savoir si l’on peut faire confiance à des personnes choisies par son propre directeur de thèse ? Je préconise de séparer le suivi scientifique et d’effectuer un suivi des relations humaines et du bien-être psychologique par une personne indépendante, formée à ça [ce n’est pas du tout ce que prévoit le projet d’arrêté, nous y reviendrons, NDLR]. Même en dehors de toute situation conflictuelle et de toute précarité financière, la nature exigeante et parfois solitaire du doctorat peut entraîner du stress et du découragement. On doit pouvoir parler sans craintes, ni pour sa carrière ni pour l’image que l’on renvoie à ses pairs.
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Les deux visages du doctorat


Avez-vous eu la chance de tomber sur la bonne équipe ?
Deux enquêtes dressent un portrait contrasté de l’état du doctorat en France. 

Grand recensement. Améliorer les pratiques, les conditions et l’offre de formation, c’est une des motivations affichées par le RNCD (réseau national des collèges doctoraux) pour sa grande enquête sur le doctorat. Menée en automne dernier, elle croise les réponses des doctorants (presque 12 000) et celles de leurs encadrants (presque 6 000) à plus de 150 questions (toutes les données sont disponibles en ligne).

Première importance. L’enquête montre tout d’abord — au cas où quelqu’un en doutait — le poids du doctorat dans la recherche française. Les doctorants sont, de fait, associés à plus de la moitié des productions scientifiques, témoignent très majoritairement leurs encadrants. Voilà qui résume tout le paradoxe de leur positionnement dans les laboratoires.

Petites mains pour certains… Selon une autre enquête dévoilée récemment par Vies de thèse (voir l’interview d’Adèle Combes), certains doctorants se vivent comme de simples exécutants (19% des 1 900 répondants). Le RNCD insiste lui sur le fort taux de satisfaction : pour plus de deux tiers des doctorants interrogés, l’expérience correspond à leurs attentes et à leur vision.

… satisfaction pour d’autres. Les deux enquêtes se complètent finalement bien au sujet de la relation entre les doctorants et leur directeur·rice de thèse. Quatre doctorants sur cinq se déclarent satisfaits de leur encadrement selon le RNCD, un sur cinq avoue avoir subi un harcèlement moral – ou un vol de résultats en même proportion –, d’après Vies de thèse.

Deux, c’est pas toujours mieux. Le co-encadrement est étonnamment fréquent puisqu’il concerne deux tiers des doctorants en troisième année selon le RNCD. Il est d’ailleurs à double tranchant : deux encadrants valent mieux qu’un, certes, sauf s’ils ne s’entendent pas ou manquent de coordination. Autre motif d’insatisfaction, sans surprise : le financement des thèses, toujours problématique.

A la conquête du grand public. Sylvie Pommier, présidente du RNCD et Adèle Combes – aka Vies de thèse – s’accordent sur le constat que les situations problématiques sont minoritaires… mais pas sur les priorités qui en découlent. Si, pour Adèle Combes, l’urgence est de mettre fin à ces situations, Sylvie Pommier préfère donner une image du doctorat plus positive auprès du grand public, notamment pour améliorer l’insertion professionnelle des doctorants.  

La recherche avant tout  L’enquête du RNCD révèle que doctorants et encadrants se focalisent durant la thèse sur les résultats scientifiques et l’apport de connaissance : deux tiers des doctorants veulent faire carrière dans la recherche publique. Au grand dam du RNCD, qui considère que l’acquisition de compétences utiles pour travailler hors de l’académie doit devenir l’un des objectifs principaux du doctorat.
Donnes-moi ta discipline, je te dirai combien de doctorants tu as

L’enquête du RNCD révèle d’importantes différences dans les pratiques d’encadrement. S’il est très rare en sciences de la vie qu’un directeur de thèse encadre plus de cinq doctorants, la situation est fréquente en sciences humaines. Les doctorants se plaignent alors du manque de disponibilité de leur encadrant, avec des rencontres à peine mensuelle en SHS – contre plusieurs fois par semaine en sciences “dures”. Cette fréquence des rencontres joue très clairement sur le taux de satisfaction des doctorants.
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La bataille de Paris

Le changement de nom de l’Université de Paris est un casse-tête.

Un conseil, deux avis. C’est une surprise dont les services de l’université de Paris se seraient bien passés : le Conseil d’Etat, entre Noël et jour de l’an, a annulé son décret de baptême (après l’avoir entériné avant sa sortie, rappelons-le), suite à une requête de Paris 2 Panthéon Assas. UP n’est donc plus UP depuis le 29 décembre dernier. Panthéon 2 Assas a également attaqué le dépôt de la marque UP auprès de l’INPI, cette procédure est toujours en cours.

Et maintenant ? L’annulation pure et simple du texte laisse UP dans le flou, même si le logo ne changera a priori pas et qu’elle peut continuer, en attendant, à utiliser son ancienne dénomination pour ses missions de service public. Pour le reste, des nouveaux noms (secrets bien sûr) sont actuellement passés au tamis juridique avant d’être mis au vote en interne, précise-t-on à l’UP.

Crochet du gauche. Un coup dur pour cet établissement expérimental tout neuf issu de la fusion entre Paris-Descartes et Paris-Diderot (plus l’Institut de physique du globe) en 2019. Tout neuf mais déjà à la 73e place du classement de Shanghai et paré dès sa naissance de l’excellent label Idex (lire notre interview d’Audrey Harroche) que le Conseil d’Etat l’autorise à conserver.

Sauver les meubles. Le timing de cette nouvelle, sans réel précédent (à part celui de Paris-Sorbonne), est mauvais : l’élection présidentielle entraîne une vacance du pouvoir politique dans les semaines à venir ; une réunion était néanmoins prévue avec le cabinet de Frédérique Vidal lundi dernier. 

Notre analyse  Combien de temps pour changer de nom et combien de temps pour faire apparaître le nouveau sur les publis ? L’impact sur le classement de Shanghai, cardinal dans le secteur, est encore mal cerné mais ne « semble pas destructeur », juge un connaisseur du dossier.
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 La recherche fait PFUE  


Un tour à l’atomium ?
La France occupera la tête de l’Union européenne pendant six mois.  

Si vous raté le début. Emmanuel Macron a inauguré la Présidence française de l’Union Européenne (PFUE) par un grand discours le 09 décembre dernier. D’une durée de six mois — dont trois mois de réserve présidentielle dû aux élections —, la présidence de l’UE est l’occasion de pousser certains sujets. Mais lesquels ?  

Labos à Bruxelles. Si il n’y avait qu’un terme à retenir de l’inauguration de cette présidence française, ce serait celui de « souveraineté », qui résonne dans l’actualité autour de la crise migratoire et des inquiétudes géopolitiques. Mais sur la recherche, l’Europe a toujours son mot à dire. Les Anglais, toujours écartés d’Horizon Europe, en savent quelque chose.

Pierre tombale. L’Elysée et le Quai d’Orsay auront la main sur tous les aspects de cette PFUE. Le 13 décembre, Emmanuel Macron l’a d’ailleurs fait précéder d’une visite à Viktor Orban, régulièrement épinglé pour les entraves à la liberté d’expression ou aux droits de l’homme. Histoire de marquer le coup, le président français avait prévu un hommage sur le tombeau de la philosophe Agnès Heller. 

Faux amis. L’Europe est une affaire des grands principes. Deux documents récemment publiés, l’un par la Commission européenne, l’autre par le Conseil de l’Union européenne, éclairent un peu la doctrine bruxelloise en la matière. Pour votre gouverne, le conseil de l’Union européenne n’a rien à voir avec le Conseil européen, ni même avec le Conseil de l’Europe. Oui, l’Europe a des institutions complexes.

Europe partout. Incitatif, le premier pose les bases de l’Espace européen de la recherche (EER) et rappelle l’objectif des 3% du PIB (la France en est loin) qui doivent y être consacrés en insistant sur de nombreuses valeurs : liberté académique, intégrité, parité, science ouverte, excellence… Le second plaide pour une évaluation plus quantitative de la recherche, en droite ligne de Dora.

Aréopages. Au-delà de ces considérations un peu macro, la PFUE sera l’occasion de mettre sur pied une « académie d’Europe réunissant une centaine d’intellectuels des 27 pays et de toutes disciplines », a annoncé Emmanuel Macron en plus d’une grande réunion en juin des 40 universités européennes. Un groupe de réflexion coordonné par Thierry Chopin travaille par ailleurs à donner du fond à la PFUE depuis quelques mois.
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Pour en finir avec les disciplines ?


Savoir se fondre entre deux disciplines
Les systèmes complexes gomment les frontières entre domaines de recherche.

Binôme. Commençons par une évidence : les recherches en sciences complexes allient généralement plusieurs disciplines : « l’une formelle apporte des connaissances en modélisation, comme les maths ou l’informatique, l’autre appliquée, typiquement un domaine qui résistait à modélisation, comme la biologie, la santé ou l’urbanisme », détaille Pablo Jensen, physicien de formation, aujourd’hui sociologue de cœur.

Universel. Mais entre un physicien et un économiste, la communication peut s’avérer difficile. Paul Valcke navigue entre les deux au sein de l’Environmental Justice Program : « Un même mot peut vouloir dire des choses différentes. Faire la traduction est un vrai boulot. » Le langage mathématique devient alors un moyen de communiquer.

Réinventer l’eau tiède. « La physique apporte le quantitatif et les liens causals, mais les résultats ont-ils bien du sens en économie ? » En effet, les chercheurs de sciences dites “dures” sont parfois tentés de (re)créer des modèles sans prendre connaissance de l’existant dans la discipline. Une application sans recul des outils de physique qui n’est souvent ni efficace, ni respectueuse des sciences humaines (voir notre interview).

Tournure politique. Elle peut même être parfois fausse. Par exemple, le modèle de Thomas Schelling prédit une ségrégation totale entre Blancs et Noirs de l’autre… bien que chaque individu veuille plus de mixité. « A trop avoir confiance dans le modèle, on en conclut qu’il n’y a rien à faire, que le résultat est une fatalité », alerte Pablo Jensen.

La richesse du quali. Pour Pablo Jensen, il s’agit « d’un impérialisme des sciences de la matière qui s’attaquent aux sciences sociales. » Et pour s’en rendre compte, il faut se pencher au cœur de la sociologie, avec des sociologues : « au final leurs descriptions sont souvent plus riches et plus pertinentes que les modèles ».

Outils indispensables. Faut-il alors s’abstenir de modéliser ? Non, car même s’ils sont réducteurs, les modèles « mettent à l’épreuve notre manière de pensée et permettent de nous améliorer », nuance Pablo Jensen. En économie, le modèle développé par The Limits to Growth (relire notre numéro sur la croissance) a apporté un tout nouvel éclairage.

Animorphs. Reste alors à devenir un scientifique hybride, comme en témoigne Paul Valcke : « En sciences complexes, on a une connaissance approximative de tout. Dans l’idéal, il faudrait qu’on ne soit plus du tout spécialisé ni monodisciplinaire. Le champ des systèmes complexes peut d’ailleurs être vu comme une réponse à la surspécialisation de la recherche. Mais le chercheur reste en règle générale une bête spécialisée ! »
Les temples de la complexité 

Les instituts des systèmes complexes ont fleuri en France dans les années 2000 (l’ISC-PIF à Paris, l’IXXI à Lyon…) sur le modèle des hôtels à projets : les chercheurs y viennent pour quelques années et rencontrent des collègues d’horizons différents. L’inspiration vient d’outre-Atlantique avec le Santa Fe Institute (voir le trombinoscope) où les recherches ne sont pas compartimentées et l’échange entre chercheurs la règle. Au sein de l’institut lyonnais, des historiens, géographes ou sociologues sont invités à venir parler de sujets comme la révolution numérique. « Nous avons besoin d’eux pour poser les bonnes questions », affirme Pablo Jensen.
Les fédérateurs du complexe

Warren Weaver  Mathématicien, il formalise la complexité et s’interroge sur le rôle de la science pour le futur de l’humanité dans Science and complexity en 1948 : les problèmes ne se résument plus seulement à deux corps, surtout en biologie ! 

George Cowan Chimiste au sein du Manhattan project et durant presque 40 ans au Los Alamos National Laboratory, il co-fonde en 1984 le Santa Fe Institute, un des plus grands centres dédiés à l’étude des systèmes complexes, avec un paquet d’autres chercheurs connus.

Christopher Langton Informaticien et père de la vie artificielle, sous-champ de recherche des systèmes complexes alliant informatique et biologie, il sera à la tête du Swarm Development Group, un consortium émergent de l’institut de Santa Fe en 1999.

Paul Bourgine Chercheur français, il est à l’origine des journées de Rochebrune en 1992 (les prochaines en janvier), du Réseau national des systèmes complexes et, à l’international et plus récemment, du Complex Systems Digital Campus.
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Les tous petits pas de l’open


Les fauteuils sont moins confortables rue Michel-Ange
Le CNRS veut évaluer ses chercheurs sous le signe de la science ouverte. En pratique, les changements sont incrémentaux.

En grande pompe. Le CNRS l’a annoncé lors de sa journée science ouverte, Le Monde a repris l’info : l’organisme va (enfin) évaluer ses chercheuses et chercheurs en accord avec les principes de la science ouverte ! A l’heure où s’ouvrent les campagnes de recrutement (voir encadré), quels sont les changements concrets ?

Diversification. Comme l’indique le guide du CNRS, les candidats aux concours 2022 n’ont plus à donner une liste exhaustive de leurs publications mais présentent une sélection de quelques productions – au maximum dix. Mais surtout, la porte est ouverte à d’autres réalisations comme les rapports, les logiciels ou les bases de données…

Verticalité. « C’est plutôt bien et cela facilite le travail des rapporteurs », commente Dorothée Berthomieu, présidente du conseil scientifique du CoNRS, instance chargée notamment de définir les principes de l’évaluation des chercheurs. Sauf que les instructions viennent de la direction du CNRS, sans consultation des présidents de sections (CPCN), déplore-t-elle.

Concision. L’autre évolution se cache dans les formulaires de dossier d’avancement qui se raccourcissent de plus en plus : les chercheurs doivent remplir une fiche résumé de cinq pages (sept en 2021) et l’accompagner d’un CV de quatre pages maximum (contre une notice des titres et travaux sans limite de taille l’an dernier).

Des plaintes. Pour Dorothée Berthomieu, « il s’agit d’une maladresse car beaucoup des sections ont été renouvelées et les nouveaux membres ne connaissent pas l’historique des chercheurs » – comprendre ici qu’ils n’ont pas eu le loisir de lire quatre années de suite le dossier du même candidat malheureux. Un nouveau format qui ne fait donc pas l’unanimité, surtout dans certaines disciplines habituées à de longs dossiers.

Entre la théorie et la pratique… « Le but est clairement d’aller vers une évaluation plus qualitative. Mais ce n’est pas nouveau, depuis 2007, on entend ce discours », admet Dorothée Berthomieu. Sur le terrain, les chercheurs voient bien que dans certains pays ou au sein de certaines disciplines, on se fie toujours au facteur d’impact – par exemple le Sigaps en médecine dont TMN expliquait le fonctionnement.
Population vieillissante

238 chargés de recherche de classe normale, 260 directeurs de recherche de 2e classe et deux directeurs de recherche de 1re classe… Le nombre de postes ouverts au concours du CNRS est à peu près constant depuis 2019, même si l’on peut noter une diminution – légère – des CR au profit des DR. En revanche, la baisse est notable depuis 2006, année où presque 400 postes de CR avaient été ouverts. Pour 2022, un tiers des postes sont “colorés” – avec une thématique et/ou un labo prioritaire. Enfin, le nombre de CR en poste diminue parallèlement à un vieillissement général de la profession.